Dimanche 28 janvier 2007 - Quatrième dimanche

Prions Dieu pour qu’il puisse entrer chez nous comme on entre chez soi !

Jérémie 1,4-5.17-19 - Psaume 70 - 1 Corinthiens 12,31-13,13 - Luc 4,21-30
mardi 30 janvier 2007.
 

Ce que vous venez d’entendre est la suite du récit commencé dimanche dernier. Jésus se rend à Nazareth, le pays où il avait grandi, nous précise Luc. Dans la synagogue on lui propose de prendre la parole. Il trouve le passage d’Isaïe : « l’esprit de Dieu repose sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction ». Puis il fait un enseignement. Luc nous en restitue quelques mots. C’est le texte que nous avons.

Il y a trois choses que je voudrais méditer avec vous.

Tout d’abord : « Cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ». Le texte ne dit pas tout à fait ça, il dit « cette écriture que vous venez d’entendre ». Il ne dit pas parole (Logoïs, Réma) il dit écriture (graphé), ce qui a le caractère de la stabilité, de la pérennité, mais aussi ce qui a le caractère de l’archive, du rouleau, c’est fermé qu’on le conserve, qu’on le range. Dans l’évangile de Luc, ce mot revient deux fois, à chaque fois il signifie ce qui est fermé et qui demande qu’on l’ouvre. Ce qui est incompris, obscur et qui veut la lumière. La seconde fois, c’est à l’autre bout de l’Evangile, ici nous sommes tout au début du ministère public de Jésus, il faut aller voir tout à la fin, les compagnons d’Emmaüs : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant quand il nous parlait en chemin et nous ouvrait l’Ecriture (graphé) ! » Quand Jésus parle, c’est l’écriture qui est transformée en Parole, elle est réinsufflée par celui qui en est la source, le verbe éternel.

Quand Jésus dit : « aujourd’hui, cette écriture s’accomplit ». Il dit que ce qui risquait de n’être que texte archivé, collectionné pour l’étude ou le culte, ce qui risquait de n’être plus compris et vécu, aujourd’hui, s’accomplit en parole vivante, car je le suis, moi qui te parle ! Peut-être avez-vous d’avantage que nous autres catholiques, ce sentiment que lorsque nous lisons l’Ecriture, c’est le Verbe éternel de Dieu que nous touchons que nous trouvons là sous nos yeux, dans le souffle de notre lecture. C’est le Verbe éternel qui nous trouve, lui qui nous a tant cherchés ! Car la Parole de Dieu, c’est Dieu en quête de l’homme.

Je suis toujours fasciné quand je vois cette scène : Jésus tenant le rouleau de la parole, les deux se font face, ils se scrutent, « deviens ce que tu es », c’est le Christ qui souffle ces mots sur la Parole, c’est la Parole qui souffle ces mots au Christ.

Second point. Pourquoi l’assemblée est-elle si versatile ? Pourquoi n’y a-t-il pas d’effort pour comprendre ? Luc pourtant précise bien : « Tous lui rendaient témoignage, ils s’étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche. » C’est nous qui nous étonnons d’autant plus quand nous apprenons qu’un instant après ils veulent le tuer ! Il faut dire que Jésus vient de rappeler un sujet qui fâche ; le salut des païens ! Avec cette histoire extraordinaire survenue à deux étrangers ; une veuve de Sarepta, du temps d’Elie et un général syrien du temps d’Elisée. C’est là que ça tourne au vinaigre ! Mais je crois que pour bien comprendre le problème qui se joue entre Jésus et eux, il faut remonter plus haut. Jésus n’est pas en train de leur contester une question de théologie ; le salut est-il ouvert ou non aux païens ? Ca viendra, mais plus tard, pour le moment, Jésus réagit, plutôt violemment à une attitude spirituelle de fermeture.

Vous avez remarqué, tout se déclenche quand les gens réunis dans cette synagogue se demandent entre eux : « N’est-ce pas le fils de Joseph ? » C’est là que Jésus réagit - un peu vivement, il est vrai - mais non sans raison.

Non sans raison car dans ce propos, somme toute pas très grave, il y a tout l’art d’éteindre l’émerveillement. Il y a trois manières d’éteindre la joie, de rater la Grâce qui passe. La première, la plus efficace, je vous la conseille ! On la trouve souvent dans les évangiles, contre Jean-Baptiste ou Jésus. C’est le « oui, mais ». Il parle bien ! Oui, mais c’est un glouton. Il fait des signes extraordinaires ! Oui, mais il fricote avec les publicains. Ces petits mots ont une formidable force de pollution, ce sont des éteignoirs qu’utilisent ceux qui s’imaginent doués d’un esprit critique ! Ces gens ne disent jamais vraiment oui, ils ont peur de leur propre enthousiasme.

Une seconde façon de briser la vie, nous la voyons dans cette scène, c’est la prétention de connaître. « Mais on le connaît bien celui là, c’est le fils de Joseph, qu’est-ce qu’il nous raconte là, qu’est-ce qu’on peut apprendre de lui ? » Vous savez, quand vos enfants ne vous étonnent plus, quand de votre conjoint ou de votre fils, vous pouvez dire : « Bof, je le connais, depuis le temps ! » Quand vous pouvez dire ça, vous ne l’aimez plus ! Ces gens là, plaise à Dieu que nous n’en soyons pas, refusent de se laisser étonner.

Alors, vous ne me connaissez pas bien, mais je suis un homme bon ! J’ai cherché à plaider la cause de ces braves gens quand même ! Manque de chance, c’est comme ça que j’ai trouvé la troisième façon dont on étouffe la joie. C’est vrai qu’ils le connaissent bien le petit du charpentier. Il a grandi là avec les gosses du quartier. D’ailleurs on connaît tout le monde ici. (On a envie de prendre l’accent du Sud !) On se connaît si bien entre nous qu’on ne se voit plus. On s’est tellement habitué. C’est ce que j’appelle la gangrène de la quotidienneté, l’usure du frère. L’ennui.

Il y a vraiment de quoi s’énerver !

Dans l’évangile de Luc, c’est la première fois, que Jésus parle en public, et d’emblée, nous sommes mis face à ce mystère du mal. Le refus de la joie, de ceux qui ne veulent plus bouger. La grisaille.

La troisième chose que je voulais méditer avec vous, c’est que nous avons dans cette scène, ce que je crois être les adieux de Jésus à sa mère. Adieux à sa mère dans trois sens. A son pays, à sa terre d’abord, il ne reviendra plus à Nazareth, le pays où il a grandi, c’est fini. Et puis, les adieux à Marie sa mère, dont on ne parlera plus dans Luc. Et enfin, c’est peut-être le plus important, les adieux à la synagogue, sa mère. La synagogue c’est la patrie où Jésus a grandi.

Il y a des détails dans l’évangile de Luc dont la force suggestive est extraordinaire. Vous savez, dimanche dernier : « Jésus vient à Nazareth, le village où il avait grandi. Comme il en avait l’habitude, il entra dans la synagogue. » Il entra dans la synagogue comme on entre chez soi. C’est le Terre où il a grandi, c’est la terre où la Parole est entendue, partagée, travaillée. C’est la terre où la Parole l’a fait grandir. Quand Jésus grandissant, se rend à la synagogue et scrute la Torah, il vient boire à la source qu’il est, lui, le Verbe éternel, tellement devenu l’un de nous, que comme chacun de nous, il a besoin de puiser à la Parole pour grandir et devenir ce qu’il est !

Ce n’est pas rien de dire adieu à sa mère.

Après cette scène un peu dramatique, Jésus part pour Capharnaüm, là il ira encore deux fois à la synagogue, mais nous assistons aux mêmes attitudes : admiration, et rejet violent. C’est alors que nous avons ce verset lourd de sens qui est peut-être le premier acte de naissance de l’Eglise : « quittant la synagogue, il entra dans la maison de Simon ». Naissance dans la douleur, tout comme St Paul, plus tard, ce n’est pas par plaisir qu’il s’éloigne de la synagogue, c’est sa mère qu’il quitte. Mais il faut aller à ceux qui acceptent de se laisser enseigner, qui acceptent de s’étonner encore, qui acceptent la vie, qui acceptent que le Verbe créateur vienne encore jusqu’à nous.

Prions Dieu que nous soyons de ceux-là pour qu’il puisse entrer chez nous comme on entre chez soi !

Quand Jésus quitte sa mère.

Luc 4, 21-30