Je commence une série de deux enseignements sur la théologie du mariage. Aujourd’hui, nous allons voir quelques fondements et la prochaine fois, comment l’Eglise a progressivement compris le sacrement du mariage.
Les textes de ce jour d’ailleurs y encourage et la première lecture tout particulièrement va nous intéresser.
C’est le second récit de création, un texte qui est choisi parfois pour les mariages. Vous connaissez ce texte, on lit juste avant comment Dieu modèle l’homme avec la glaise du sol et souffle en lui la vie. C’est d’ailleurs très prometteur sur la présence de l’Esprit Saint, le souffle de Dieu en tout homme. Juste après, nous avons notre lecture. L’homme est seul, hélas ! Alors Dieu lui fait des compagnons, tous les animaux. Et, voilà la première chose à bien noter, Dieu amène vers l’homme tous les animaux pour que l’homme leur donne un nom. Ca, c’est très important parce que dans la tradition biblique donner un nom c’est saisir ce qu’on nomme, avoir autorité sur cette chose ou cet homme. Par exemple quand Dieu saisit Simon, il le nomme Pierre. Donc voilà que Dieu donne à l’homme le pouvoir de dominer, c’est même répété trois fois en peu de lignes ! Noter qu’il n’y a pour le moment aucune connotation mauvaise, il s’agit pour l’homme de gérer le monde, il en reçoit la responsabilité. C’est ça que ça veut dire. Evidemment, les choses vont se gâter quand l’homme, au lieu d’exercer cette responsabilité se contentera d’user et d’abuser des biens de ce monde. C’est une autre question.
Alors voilà l’homme maître de toutes choses, est-il satisfait ? Non « il ne trouve aucune aide qui lui corresponde ». Belle expression qui est répétée deux fois dans ce texte. Deuxième leçon très importante à noter au passage. Tant que l’homme croit faire son bonheur dans les choses de ce monde, il ira vers l’ennui. Il aura beau en avoir des trucs et des fortunes, là n’est pas son bonheur.
Dieu alors endort l’homme et il prend de la chair de son côté et avec ce qu’il a pris (répété deux fois, là aussi) et qui donc manquera à l’homme, il forme la femme. Il faut fuir les interprétations du genre la femme vient après l’homme, lui est inférieure ou je ne sais quoi. Ce que ça veut dire c’est qu’il y aura dorénavant dans toutes les relations humaines à la fois une familiarité « voici la chair de ma chair » et un manque « ce que Dieu a pris à l’homme ». Familiarité, tout homme est mon frère. Manque : jamais je ne pourrai prétendre le ramener à moi c’est-à-dire réduire son « étrangeté » à mes habitudes, à mes idées, à ma culture, autrement dit je ne pourrai jamais recoller le morceau manquant pour reprendre l’image biblique ! Il y a une impossibilité de saisir ou comprendre tout à fait autrui car il y aura toujours entre l’un et l’autre une différence. Il faut laisser à l’autre sa différence, son mystère, son côté insaisissable, et donc il y a toujours en lui de quoi m’étonner. Mais il y a aussi par rapport à l’autre un manque comme quand on dit « tu me manques », sans toi, je ne suis pas vraiment moi. Et voilà que nous avons de quoi comprendre l’expression « une aide qui lui corresponde ». Et comprendre pourquoi progressivement l’Eglise a fait du couple humain, un sacrement.
Le mot hébreux est riche d’ambiguïté, il veut dire ; une aide à côté, contre, mais aussi face à. Il veut dire les deux, à côté de moi, j’ai une aide pour me tenir face à. Face à quoi ? Face à ma vocation d’homme. Ma vocation d’homme ? Honorer, faire grandir l’humanité en moi. Or ça, je ne peux le faire que par le ministère d’autrui. Le français rend très bien ce sens par le verbe « correspondre », répondre avec. Répondre à ma vocation avec une aide, par excellence l’époux, l’épouse. Seul, je ne peux pas. Vous pouvez facilement comprendre que quand on aime quelqu’un, on le fait grandir, et soi-même on grandit en aimant. C’est vrai éminemment des enfants, mais aussi de chacun d’entre nous qui avons encore et toujours besoin de faire grandir en nous l’humanité. Il y a là, dans l’amour humain un moyen de contribuer à l’œuvre créatrice de Dieu qu’il nous confie. Voilà un des fondements de l’espérance chrétienne sur le couple et la famille.
Il y en a un autre. Là aussi, chacun en a fait l’expérience qu’on peut éprouver dans la beauté et dans l’amour. Quand on aime vraiment, on sait bien que ce qui nous habite alors est plus grand que nous et cependant n’est pas sans nous. Quelque chose me dépasse infiniment et cependant, je n’ai jamais été aussi bien moi-même, je n’ai jamais été autant moi-même que dans ce moment là. C’est ce que nous appelons l’expérience de l’absolu. Ou du divin. Ou de la transcendance si vous voulez. L’amour humain ou l’expérience de la beauté donne à la transcendance de visiter l’immanence. Ca a l’air un peu compliqué, mais pas tant que ça : l’expérience banale, la vie, est tout d’un coup traversée par quelque chose d’immense qui peut tout transfigurer et donner du sens. Il y a évidemment un côté passif dans tout ça, ça m’est donné, mais cependant il me faut le prendre en charge. Je dois en devenir l’acteur, le gardien ; garder précieusement ce qui me déborde de toute part, en devenir le familier. Je crois que c’est ça l’expérience de l’amour humain.
Voici deux fondements essentiels, nous sommes créateur les unes des autres, l’amour nous donne l’expérience de l’absolu, deux fondements grâce auxquels l’Eglise a fait de l’amour humain un sacrement.