Vous savez qu’en janvier commencera sur notre paroisse une semaine de prière accompagnée. L’EAP m’a proposé à cette occasion et pour nous y préparer, de faire une série d’enseignements sur la prière. Je ne peux aborder que quelques aspects bien sûr, juste vous mettre en appétit.
D’abord, quelques constats.
En premier lieu, c’est intéressant de constater que la prière est absolument universelle. Dans toutes les religions, on prie. Il semble que la prière soit ce qui constitue la caractéristique même d’une religion. Sans la prière, elle n’est qu’une pensée, une façon de voir.
Second constat, il faut bien dire que « nous ne savons pas prier comme il faut », c’est St Paul qui le dit, et chacun de nous, je pense. Il faut toujours réapprendre.
Et enfin, pour apprendre à prier, il nous faut des maîtres, des conseillers, des guides. Il faut nous mettre à leur école. Même les apôtres se sont tournés vers Jésus pour lui demander de leur apprendre à prier. Pour ma part, je me servirai donc de quelques grands maîtres : St Augustin, St Ignace, et le père Caffarel qui a passé sa vie à enseigner la prière. Mais Le Maître, c’est bien sûr, l’Esprit Saint. L’Esprit Saint qui parle à notre esprit, qui vient au secours de notre faiblesse et qui nous fait nous écrier Abba, père, comme le dit St Paul (Rm. 8, 15-16).
Toute la prière est là : se tenir face à Dieu dans un rapport de confiance. Abba est un mot hébreux qui comporte une touche d’affection. Dieu est pour nous Abba, Père, c’est-à-dire qu’il est bienfaisant, il continue à nous créer, à nous faire grandir. Dieu n’est pas un lointain créateur qui s’efface dans la nuit des temps, Il l’est encore pour nous, aujourd’hui ! La prière nous rétablit dans un juste rapport à Dieu, elle est re-disposition face à lui. Dieu n’est plus une lointaine origine, redoutable, immense et surplombant, tellement transcendant qu’on n’ose même plus le penser ni l’aimer. Dieu veut établir sa demeure en nous, à l’intime, c’est ça la prière !
Le premier mot de la prière, c’est le désir de Dieu. Le désir qu’a Dieu de nous partager ce qu’il est. C’est le sens de ce que nous dit le prophète Isaïe qui fait parler Dieu : « Ne crains pas car je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi. Je suis le Seigneur ton sauveur, car tu comptes beaucoup, tu as du prix à mes yeux et moi, je t’aime ! » Is. 43. Prier, c’est d’abord répondre à ce désir de Dieu. Le prophète Osée continue sur le même ton : « C’est pourquoi, dit le Seigneur, je vais la séduire, je la conduirai au désert et là, je parlerai à son cœur. Et tu répondras comme au jour de ta jeunesse et tu m’appelleras : mon époux. »
La prière, c’est laisser Dieu réveiller en nous le désir de Dieu. Car en nous, il y a un désir d’absolu, un désir diffus de grandeur que souvent nous gaspillons dans les fausses grandeurs. Dieu a déposé en nous sa trace, il y a en nous la nostalgie d’un temps où Dieu et l’humanité étaient en amitié. Ce temps n’est pas perdu, il sommeille en nous. Dieu sans cesse veut recommencer en nous le travail de nous ré-apprivoiser. Pourvu que nous prenions le temps « de tendre l’oreille de notre cœur » comme dit St Augustin. Pourvu que nous ne renoncions pas à ce désir de l’Eternel qui est en nous. Que nous sachions le maintenir en éveil, comme nous y invitait l’évangile.
La prière, c’est le désir de Dieu. Notre désir qui répond à son désir de créateur qui veut nous donner ce qu’il est. Voilà le premier enseignement sur la prière. Vous avez là l’essentiel.
Les prochaines fois, je vous parlerai de choses plus concrètes, méthode de prière, conseils pratiques. Je peux vous donner déjà quelques trucs. N’hésitez pas à mémoriser quelques versets de l’Ecriture qui vous redisent cet essentiel et vous pouvez les laisser venir comme ça, ou bien vous les redites pour introduire un temps de prière, le soir. Les psaumes par exemple : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube. Mon âme a soif de Toi, terre aride, altérée, sans eau. » Ps 62. « Dieu, fais-nous revenir, fait luire ton visage et nous serons sauvés », Ps 80. « Mon cœur me redit : cherche sa Face. C’est ta face, Seigneur que je cherche, ne me cache pas ton visage », Ps 27. Ou tout simplement les derniers mots de la Bible : « viens, Seigneur Jésus ».
Pour finir,je vous laisse ces quelques mots de St Augustin : « Tu nous as fait pour Toi, Seigneur et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en Toi. »
La prière est repos en Dieu. Il s’agit en effet de se reposer, de se poser à nouveau, de se refaire en Dieu. Sachons puiser à la source. En nous, Dieu se fait source quand nous le prions.
Nous poursuivons notre enseignement sur la prière. Après avoir bien compris que le cœur de la prière est le désir de Dieu, nous abordons aujourd’hui la délicate question de la prière de demande. C’est St Augustin qui sera notre maître. Il faut d’abord débroussailler pour nous défaire de la mauvaise prière de demande. Puis nous verrons pourquoi demander à Dieu alors qu’il sait de quoi nous avons besoin. Et enfin, nous verrons ce qu’est une juste prière de demande.
Il y a en effet une mauvaise prière de demande qui révèle un rapport païen à Dieu et qui souvent nous conduit à douter de Dieu. C’est la prière (peut-on appeler ça prière ?) qui récrimine, qui réclame comme si Dieu était le bureau des réclamations. Vous connaissez bien sûr la leçon de St Jacques : « Vous demandez et ne recevez pas ? C’est parce que vous demandez mal, afin de satisfaire vos convoitises ». Il y a une mauvaise prière, une prière qui nous fait du mal. Elle nous fait du mal car elle instille en notre esprit une mauvaise idée de Dieu, un Dieu qui devrait intervenir, « fais ceci, fais cela », un Dieu à notre disposition, à nos ordres ! Pour un peu, on lui ferait du chantage : « Si tu fais tel truc, alors je croirai en toi ! » St Jacques dit que c’est une prière mauvaise ; elle fait de Dieu un marchand de bazar. Elle consiste à demander à Dieu des choses, alors qu’Il ne veut nous donner qu’une chose : Lui-même ! Le père Caffarel utilise un exemple, celui d’un père très absent qui gave son gamin de tout un tas de cadeaux, croyant satisfaire son besoin d’affection, alors que l’enfant en question ne lui demande qu’une chose : un peu d’attention, un peu de présence ! Et bien de la même manière, Dieu veut nous aimer, il veut demeurer en nous, mais nous ne lui demandons que des joujoux, des gadgets !
Mais alors, faut-il faire disparaître de nos prières tous nos soucis, nos demandes, nos épreuves ? Bien sûr que non ! Là encore une image parlera mieux qu’un long développement. La carafe à décanter. C’est un récipient en verre où l’on verse le vin quand il est un peu rude, un peu rêche sous la langue. On le laisse dans cette carafe dont le fond est très large, ainsi le vin qu’on y a versé est étalé et donc offre une surface importante à l’air. On le laisse reposer, il s’oxyde, ça lui fait du bien. Même chose pour nos soucis, nos appels à l’aide, nos souffrances, on les étale, on les dépose dans la prière et ça décante sous le regard de Dieu. Vous voyez bien que ça n’est pas la même chose que réclamer, marchander avec Dieu.
Il reste à voir ce que pourrait être une juste prière de demande, quelque chose qui ne pervertisse pas l’idée de Dieu. Outre le Notre Père, qui est tout entier une prière de demandes -il faudrait que j’en parle, mais ce sera pour une autre fois- outre le Notre Père, l’évangile nous donne quelques enseignements. J’en ai choisi deux, dans le même texte de Luc. « Demandez et on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et on vous ouvrira. » Il y a là une explication de la prière de demande. Ca demande en effet quelques explications parce que quand on entend : « Demandez et on vous donnera », tu parles ! j’ai déjà essayé ! Il faut purifier notre demande. Ici, demander est éclairé par « cherchez et vous trouverez, frappez on vous ouvrira ». La demande exaucée est celle qui est de l’ordre de la quête, de la recherche pour entrer. Pour entrer où ? Dans la connaissance de Dieu, dans son intimité. Cette prière exprime notre désir de Dieu. Notre désir auquel pourra alors répondre le désir de Dieu lui-même qui veut faire de nous des fils.
Le texte de Luc poursuit : « Si donc, vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos fils, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui l’en prient ! » Voilà la prière de demande la plus juste, celle de l’Esprit Saint, que nous demandions que l’Esprit Saint vienne au secours de notre esprit, que nous demandions les fruits de l’Esprit saint : force, persévérance, paix, courage, patience, voilà une juste demande ! (Elle n’invalide pas les autres mais elle permet de juger de leur validité.)
Concluons avec St Augustin encore. Il explique que la vraie prière c’est l’invocation plutôt que l’injonction. Injonction veut dire que nous exigeons, nous pensons infléchir Dieu à force de réclamations. Invoquer, in-vocare, appeler du dedans, telle est la vraie prière. Elle doit venir de ce qu’il y a de plus intérieur, de plus vrai en nous-mêmes, le désir de l’Absolu. In-vocare, appeler au dedans, elle consiste à accueillir celui qui veut venir en nous, l’hôte intérieur, l’Esprit de Dieu qui fait de nous des fils.
Seigneur, apprends-nous à prier
Nous poursuivons aujourd’hui notre réflexion sur la prière. En novembre j’avais précisé que le centre de la prière chrétienne était le désir de dieu. Le désir qu’a Dieu de nous recevoir en Lui. Le désir que nous avons de Dieu. Celui-ci s’exprime et s’affine dans la prière. Puis en décembre j’ai fait le point sur la question délicate de la prière de demande. Aujourd’hui, je voudrais vous parler d’un type de prière qu’on appelle l’oraison mentale. C’est à cette prière que la semaine d’accompagnement va vous introduire.
On peut dater cette pratique dans l’histoire de l’église. Elle nous vient principalement de ce qu’on appelle l’école française de spiritualité, avec comme personnalité centrale, Pierre de Bérulle (mort en 1625) mais dont les sources sont chez Ignace de Loyola, un siècle auparavant. Cette brève allusion aux dates de notre histoire nous donne déjà une indication précieuse : dans la tradition de l’Eglise, l’oraison n’est pas la seule méthode de prière, il y en a bien d’autres. Mais celle-ci a une grande autorité car elle se fonde sur une authentique vie intérieure réflexive qui engage les sens, l’affectivité et l’intelligence. Mais surtout elle se fonde sur l’Esprit qui habite l’Ecriture Sainte. La Parole de Dieu est le lieu ordinaire du Saint Esprit qui parle à notre esprit. En se fondant sur une pratique de l’Ecriture, cette méthode de prière ne risque pas de nous faire perdre notre temps.
Fondée sur l’Ecriture, la prière d’oraison n’est pas pour autant un temps de réflexion sur un texte biblique, ce n’est pas non plus une lecture suivie de la Bible, comme la lectio Divina, choses excellentes par ailleurs. Cet enracinement dans l’Ecriture cherche en elle une proximité avec son auteur, l’Esprit qui nous fait connaître le Christ. Il s’agit d’approcher le Christ, de faire l’expérience de sa proximité, pourrait-on dire. Je vous explique.
L’oraison est une prière qui consiste à méditer un texte d’évangile ou de l’Ancien Testament en se rendant présent à la scène, pas seulement en se demandant ce que le texte nous apporte ou ce qu’il veut dire, tout ça viendra plus tard. Pour le moment, il faut entrer dans la scène, se faire proche des personnages, vivre avec eux l’événement qui est raconté. C’est ce que l’école ignacienne appelle la prière affective parce qu’on se laisse affecter, toucher par ce qui est dit et parce qu’on y investit des sentiments ; la curiosité, l’amitié, l’étonnement, on y investit une part de notre sensibilité par l’imagination.
Voilà comment on procède. Il faut d’abord choisir un texte, celui du dimanche qui suit, de dimanche dernier ou tout autre. Après avoir demandé à Dieu de nous aider à mieux le connaître, à être attentif à sa présence, on lit lentement le texte en prenant grand soin de planter le décor, c’est-à-dire d’imaginer, mettre en images la scène. En appeler à l’imagination à ce moment là est un très bon moyen pour la mobiliser à bon escient. Sinon elle reviendra de toute manière, mais pour vous distraire, alors autant qu’elle serve ! Une fois qu’on a campé le décor, on observe bien les personnages, leurs soucis, leurs demandes, leurs ambiguïtés ! Puis on se met avec eux, de leur côté, avec les même soucis, les mêmes ambiguïtés, les mêmes demandes, et on se tourne vers Jésus, on le regarde, on l’écoute. On peut se mettre dans la peau d’un des apôtres ou d’un pharisien, ou tout simplement d’un badaud qui s’est arrêté et qui observe. Et c’est alors qu’on se laisse vraiment toucher par les gestes de Jésus, par ses regards, ses paroles. Et surtout, surtout, il faut se laisser étonner.
Si vous déroulez tranquillement cette méthode, vous rencontrez le Christ. Sa parole n’est plus vague, lointaine, elle est proche, elle vous touche, Dieu parle. C’est ça la prière d’oraison.
Quelques petits conseils, mais ceux qui suivront la semaine de prière accompagnée les entendront à nouveau. Pour ce type de prière, mais c’est valable pour toutes les formes de prière, il faut savoir commencer et fermer la prière tout comme il vaut mieux déterminer au début sa durée. Pour introduire, il est bon d’utiliser un de ces versets bibliques que vous avez mémorisés suivant le conseil que je vous ai déjà donné. « Reste avec nous, Seigneur car déjà le jour baisse », « Dieu tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube », « A qui irions-nous Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelles », etc. Puis laisser décanter les soucis du jour ce qui d’ailleurs peut prendre pas mal de temps, tant pis, laisser faire, je vous ai déjà parlé de la carafe à décanter. Après ce sas, entrer dans le texte selon la méthode indiquée. Au cours de la prière, il convient de revenir au texte de temps à autre. Pour conclure la prière, n’oubliez pas de remercier, de vous retirer avec un sentiment de gratitude. On peut finir par un Notre Père ou un « Je vous salue Marie », elle qui gardait toutes ces paroles en son cœur.
Bon voilà, je ne saurai tout dire, vous pensez bien ! Il y a bien d’autres façons de prier, l’essentiel est de s’y mettre, à prier. Le Christ est notre compagnon sur le chemin du Père, sachons lui faire un petit brun de conversation. C’est ça aussi la prière.