La première lecture que vous avez entendue est très étrange. Il faut dire que ce texte date de plus de 3000 ans ! On immole des taureaux, on répand leur sang, sur un autel et sur les gens qui sont là. Comme c’est curieux ! C’est curieux, mais déjà riche de significations. Vous le savez, pour les gens de cette époque, le sang est considéré comme la vie elle-même, ils n’ont pas tort, quand on perd trop de sang, on va mourir ! Le sang, c’est la vie, la vie est sacrée. D’ailleurs, le sang marque un lien sacré, très fort, on parle des frères de sang. Il existe des rituels d’amitié où les partenaires mélangent leur sang. On le voit, ces rites ne sont pas si sauvages que ça, même s’ils nous paraissent un peu loin de nos cultures. Quand Moïse prend la moitié du sang des taureaux pour le répandre sur l’autel et l’autre moitié pour le répandre sur les personnes présentes, il veut dire qu’entre l’autel, signe de Dieu et les gens, il y a maintenant un lien, un pacte, « à la vie et à la mort », pourrait-on dire. En pratiquant ce geste, les juifs se lient à Dieu, ils expriment par ce rite que leur vie leur vient de Dieu, que leur vie est vouée à Dieu, qu’entre eux et Dieu, il y a un lien vital. C’est déjà beaucoup ! Mais Moïse innove un peu. Il ajoute la lecture de la Parole de Dieu, et par deux fois, le peuple dit : « Toutes ces paroles que le Seigneur a dites, nous les mettrons en pratique ». Mine de rien, nous avons déjà là l’ébauche de la structure de la messe : une parole qui habite et anime l’existence, une alliance avec Dieu, source de vie.
Quand Jésus instaure l’Eucharistie, la première messe, il reprend cette tradition antique. Quand il dit qu’il nous donne son sang, il dit deux choses. D’abord, il va mourir pour nous. A nouveau quelque chose de difficile à comprendre. En fait quand Dieu se fait homme, c’est pour nous rejoindre dans tout ce que nous vivons et tout transfigurer. Il va jusqu’à connaître notre mort pour la vaincre, afin que la mort ne soit plus pour nous le point final de notre existence. Ensuite, donner son sang, ça veut dire qu’il se lie à nous comme dans le rite de Moïse, il se donne pour que sa vie circule en nous, pour que sa vie anime notre existence, c’est la signification du rite de communion.
Jésus reprend aussi le rite du pain partagé. C’est plus facile à comprendre, le pain est une nourriture, sans nourriture, nous perdons la vie. Quand il nous donne son pain, le Christ nous redit qu’il est la nourriture de nos vies. Et nos vies se transforment par cette nourriture. Mais Saint Augustin (début du 5ème siècle) a ici une petite explication tout à fait géniale. Vous savez ; quand vous mangez, grâce au processus complexe de la digestion, les aliments se transforment, se dissocient en divers éléments qui deviennent votre sang, vos muscles, votre corps. Pour le Corps du Christ, dans la communion, c’est l’inverse. Voici ce que Dit St Augustin, il fait parler Jésus : « Je suis ta nourriture. Tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ton corps, c’est toi qui seras changé en moi. » Autrement dit, pour reprendre à nouveau Augustin : « Nous devenons ce que nous recevons ». Nous devenons le Corps du Christ, nous devenons ce que nous sommes par le baptême, incorporés au Christ. St Paul le dit bien souvent ; « vous êtes le corps du Christ ». St Augustin : « Si donc vous êtes le corps du Christ, c’est votre propre symbole qui repose sur l’autel. C’est votre propre symbole que vous recevez. A ce que vous êtes, vous répondez : amen, et cette réponse marque votre accord. Tu entends : « le Corps du Christ », et tu réponds : amen. Sois un membre du corps du Christ, afin que ton « amen » soit vrai. »
Vous le voyez, du vieux rite pratiqué par Moïse, nous avons gardé l’importance de la Parole de Dieu, condition d’une véritable alliance d’amitié entre Dieu et nous. La différence avec l’Eucharistie, c’est qu’il ne s’agit plus seulement d’un pacte, mais Dieu lui-même se donne à nous pour être en nous la Vie de nos vies et pour faire de nous des compagnons, ceux qui partagent le même pain, pour être du même corps, le Corps du Christ.