Ce texte regroupe deux enseignements qui apparemment n’ont pas grand chose à voir. Ils ont un point commun, c’est leur bizarrerie ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’arbre qui se plante dans la mer ? Et comment comprendre cette appellation de serviteur inutile dont le modèle est au contraire un homme qui laboure, qui garde les bêtes et qui sert à table ?
Voyons tout d’abord la première image utilisée par Jésus. La foi grosse comme une graine de moutarde, St Matthieu nous précise que c’est la plus petite des graines et cependant les oiseaux s’abritent à son ombre. Et ici on dit que ce tout petit rien est capable de résultats incroyables que nous ne pouvions soupçonner ni espérer. Ce n’est pas une louange pour les petites croyances faciles, mais l’accent porte sur ce que la foi peut engendrer. L’image de l’arbre qui se plante dans la mer demande une explication. L’arbre pour les habitants de ces pays arides, c’est une sorte de bénédiction. Il faut bien s’imaginer ça. Une forêt, c’est le paradis. Il y a des psaumes qui chantent les forêts du Liban. Ca fait rêver ! Nous, on ne rend pas bien compte. Mais nous savons quand même la force symbolique qu’il y a à planter un arbre. Je suis en train de préparer notre voyage en Arménie et ma correspondante là-bas m’a signalé que les étrangers en visite officielle plantaient un arbre. On voit bien le sens : tout l’espoir de pérennité, de force, de patience, on travaille pour les décennies qui viendront. Mais dans cette parabole il y a aussi le symbole de la mer. Chez nous, c’est l’image du repos, des vacances, de la pêche. Dans la pays de Jésus, ce n’est pas ça. Au contraire, la mer est redoutée, on s’y perd, la pêche n’est pratiquée qu’aux rivages. Elle est le symbole même de l’obscurité impénétrable, du danger, de l’inconnu. La mer c’est le symbole du mal qui avale tout et ne rend pas ses morts. C’est pour ça qu’on voit Jésus marcher sur les eaux ou calmer la mer en tempête, dans d’autres passages de l’Evangile.
L’arbre à l’inverse donne de l’ombre, il signale les points d’eau, souvent il porte des fruits. L’image se met à parler. Planter un arbre dans la mer, c’est transformer ce qu’on redoute en lieu paisible, voilà la foi. C’est implanter la vie dans un milieu où la mort menace. Ce monde apparemment pénétré de violence peut aussi être le lieu où le vie se donne. Voilà la foi. Porter la foi en ce monde, c’est affirmer que la logique de la violence peut être bridée. Il y a une autre force que celle de l’obscurité. La foi. Elle peut porter des fruits que nous ne savons pas.
La seconde parabole du Christ, celle du serviteur inutile est peut-être plus facile à comprendre. En effet, il suffit de regarder le mot utilisé ; inutile. Ce serviteur n’est pas inutile puisqu’il n’arrête pas de travailler toute la journée et qu’il sert à table, le soir venu. Inutile n’est pas le mot qui convient ni même quelconque. Le mot grec pourrait être rendu par « bon à rien », incapable, ce qui est pire encore ! Sauf qu’il faut le prendre au sens plus exact de : « dépassé ». « Nous sommes des serviteurs dépassés, débordés », disent les apôtres, ce qui veut dire : la tâche qui est la nôtre nous dépasse infiniment, nous sommes au service de ce qui nous dépasse, de ce qui bien au-dessus de nos seules capacités. Et pourtant, ils en sont capables, nous en sommes capables. Nous sommes capables de nous mettre au service du Seigneur, même si ça nous paraît trop grand. En vérité, c’est même ça qui fonde la vraie dignité de chacun ; se mettre au service de ce qui le dépasse.
Chacun d’entre nous doit donc être ce serviteur de ce qui est plus grand que lui. En ce jour de rentrée du conseil de paroisse, chacun peut se demander non pas ce que la paroisse doit et peut lui apporter, mais l’inverse, ce qu’il doit et peut apporter à la vie de cette communauté.
Pour ma part c’est comme ça que je vois mon ministère. D’abord quand je célèbre les sacrements, je suis serviteur de ce qui me dépasse. Mais même comme pasteur, je ne veux pas être patron, ni organisateur, je suis d’abord un homme religieux qui de ce fait, veut bien rendre ce service d’animer, d’éveiller la foi. Mais le souci de la paroisse, nous devons tous le partager.
Je vous exhorte à croire que vous pouvez servir l’évangile. En ce sens cette prière des apôtres devient la nôtre : « Seigneur, augmente en nous la foi. »