11 Novembre 2006

La paix se fait d’abord ici, par une juste estime de soi-même

samedi 11 novembre 2006.
 

Les lectures que nous venons d’entendre ont été choisies dans celles des derniers dimanches. En les écoutant, je m’étais dit qu’elles pouvaient bien nous éclairer pour cette célébration annuelle qui nous réunit pour prier pour les victimes des guerres, pour nos combattants d’hier et d’aujourd’hui, pour notre pays, pour ceux qui nous gouvernent.

Tout d’abord, la phrase de l’évangile : « tu aimeras ton prochain comme toi-même » est tellement juste si on veut travailler pour la paix. Je ne sais pas si c’est applicable au niveau des nations, mais commençons là où nous pouvons faire quelque chose ! Saint Paul parle d’une juste estime de soi, c’est très juste, ni trop, ni trop peu ! Les gens qui ne s’aiment pas iront chercher des béquilles chez les autres, ce n’est pas les aimer. Ou bien, ils projetterons sur eux leur propre amertume, salopant autrui pour ne pas être trop seul. A l’inverse, les gens qui s’aiment trop, n’ont que mépris pour autrui, à vrai dire il n’y a pas en eux de place pour l’autre. Ces gens là ne s’aiment, ils s’admirent, ils se palpent, ils se ridiculisent. La paix se fait d’abord ici, juste à l’entour et ça commence en nous, par une juste estime de soi-même. Notez bien que cette paix là ne se dispense pas de combat. Mais à la différence de bien de nos combats, celui-ci ne se nourrit pas de la haine des autres, mais de bonheur et de réconciliation.

Mais, revenons un peu à la première lecture, nous entendions une bien étrange déclaration : « broyé par la souffrance, le serviteur a plu au Seigneur...A cause de ses souffrances, il verra la lumière, etc. » Il y a là, quand même, quelque chose d’abominable. Il faudrait souffrir pour connaître Dieu ? Il faudrait être broyé par l’épreuve pour qu’on vous respecte ! Evidemment non. Pourtant il y a 14 ans, vous vous souvenez certainement un avion s’écrasait sur le Mont Sainte-Odile faisant 87 morts. Peu de temps après, un monument a été érigé sur place ; trois belles pierres sculptées de plus trois mètres de haut. Très beau. Mais pourquoi ? D’habitude on fait des monuments de ce genre pour saluer l’héroïsme, un geste de gratitude en quelque sorte. Ou au contraire on fait un mémorial là où les hommes ont été de tels monstres, qu’on veut ne pas oublier, mettre en garde contre ce dont nous sommes capables !

Mais ces voyageurs ignorant tout de la trajectoire de leur avion, sont-ils des héros parce qu’ils sont morts bêtement ? Y a-t-il là quelque violence humaine qu’il faudrait dénoncer ? Evidemment non, c’est un accident.

Pourtant, je vois au moins deux raisons pour justifier l’installation de ce monument. La première, peu sympathique, c’est que notre société cède là à une de ses démangeaisons : elle confond canonisation et victimisation. Ce n’est pas parce que vous êtes une victime que vous êtes un mec bien. C’est tout aussi absurde que de découvrir toutes les qualités de grand-père le jour où on l’enterre ! En plus, il y a là un vieux fond de comportement pervers : il souffre ! quel homme ! Tu parles. C’est pervers et absurde.

La seconde raison plus intéressante, qui nous fait dire, en voyant ces stèles, que c’est bien de les avoir faites, c’est celle qu’Isaïe exprime. C’est étrange, mais en effet, ceux qui ont subi l’épreuve sont comme chargés, plus que les autres, du mystère de l’existence. Isaïe a raison ! Il ne bénit pas la souffrance ou la mort, ni le Christ, bien sûr qui est venu les vaincre. Il dit que ces gens que la souffrance a traversés sont comme lestés, ils ont du poids. C’est vrai en particulier de tous ceux qui ont combattu de ceux mais aussi de ceux qui ont connu la maladie ou d’autres épreuves. Méditation difficile, ambiguë, mais nous voyons bien que ce serait injuste de s’en détourner ! C’est en partie, la raison pour laquelle nous sommes ici.

Pour finir un mot sur l’Islam. On en entend beaucoup ces temps ci ! L’Islam est-il dangereux ?

Je crois qu’il y a deux dangers. Premièrement oui, les religions sont dangereuses ! Comme toutes les idées quand elles ne sont plus pensées. Je veux dire quand elles ne travaillent plus à leur propre renouvellement. Les religions ne sont pas plus dangereuses, plutôt moins, que toutes les idées, mais il est vrai qu’elles portent en elle plus que les autres idées, la tentation de rêver d’un âge idéal et de s’y fixer. Se fixer sur un rêve, en dehors du réalisme, en dehors de l’estime qu’on doit à notre humanité. C’est le propre des intégrismes. Et je crois que ça n’est pas la nature de l’Islam que d’être intégriste. Mais il faut y travailler.

Le second danger c’est celui de l’ignorance. La république ne peut pas ignorer l’Islam, l’Islam ne peut pas ignorer la république. Mais il y a pire, l’ignorance c’est aussi le fait de ne rien savoir. La bêtise est toujours dangereuse. Il faut se connaître, se rencontrer. Si on reste dans l’ignorance de l’autre, en particulier si les deux religions, chrétienne et musulmane restent dans une ignorance mutuelle, alors, c’est le triomphe des slogans, des raccourcis et donc des haines. L’amitié n’aime pas les simplismes, c’est la guerre qui les réclame !

C’est dans cet esprit et pour suivre la parole « tu aimeras ton prochain comme toi-même » que nous sommes en train de mettre en œuvre sur nos deux paroisses des rencontres régulières avec les musulmans. Non pour débattre, mais pour entendre, pour cultiver l’estime. A notre mesure, nous voulons travailler pour la paix car c’est bien elle qui est en jeu.