L’occasion nous est donnée aujourd’hui de méditer sur le mal. En effet, les dix lépreux et le général Naaman sont atteints d’une maladie qui a une puissance d’évocation énorme. La lèpre est à l’époque le type même de maladie terrible, qu’on ne maîtrise pas, dont on ne guérit pas. Elle est l’image même du mal qui nous déborde, on ne sait pas d’où il vient, il est aveugle, injuste. Nous en sommes les victimes, mais aussi et c’est terrible, nous sommes ceux qui le propagent. Nous l’entretenons malgré nous. La lèpre est un peu comme ces grands fléaux qui ruinent les hommes et salissent nos cultures : la guerre, les goulags. Méditation effrayante. Nous sommes à la fois colporteurs et victimes d’un mal absolu.
La théologie et la philosophie se sont sans cesse heurtées à ce problème. On a essayé de traduire : péché originel, mal structurel, péché collectif. La foi chrétienne n’a pas d’explication, de solution à ce mal, on ne dialogue pas avec l’absurde, on ne dialogue pas avec l’horreur, on ouvre une lutte. En revanche, la théologie nous dit que le baptême libère du péché originel. Ça veut dire que la foi prétend, proclame envers et contre tout, malgré les apparences, la foi proclame que le mal n’est pas le tout de ce monde, qu’il n’est pas vrai de définir l’homme d’abord par le mal. Le mal paraît énorme et s’il semble tout emporter, tout polluer, la foi affirme que nous n’en sommes pas. Le baptême nous plante ailleurs, nos racines sont en Dieu. Le mal n’a pas raison de tout. Et dès lors, un combat s’ouvre qui est sans cesse à reprendre, sans cesse menacé, mais non sans espoir.
Nous voyons dans ce récit le Christ guérir ces 10 lépreux. Comment fait-il ? Il les envoie au temple et c’est en chemin qu’ils sont purifiés. Il y a immédiatement un premier sens, un premier niveau de compréhension donné par ces détails : ce qui guérit ces hommes abîmés, c’est le retour à Dieu. Revenir à la source qu’est Dieu, c’est ce qui délivre l’homme de l’absurde. Ce miracle est un enseignement pour eux comme pour nous.
Il y a second niveau. Les lépreux du temps du Christ et longtemps après, étaient exclus du temple, exclus du culte, exclus de la communauté de prière. Pourquoi ? A cause de la contagion bien sûr, mais aussi parce qu’on pensait qu’ils étaient devenus impurs, indignes d’appartenir à la communauté croyante. A un mal, on en ajoutait un autre. Or, Jésus les guérit et, par conséquent, il les restaure dans leur dignité de fils de Dieu, ils peuvent accéder au temple. Le Christ vient en notre monde pour restaurer l’homme éloigné de Dieu dans un juste rapport au Père. Nous sommes tous pécheurs, idolâtres. Le péché nous défigure, abîme en nous l’image de fils de Dieu. Jésus vient nous guérir de cette lèpre.
Il faut aller encore un peu plus loin, troisième niveau. Un seul revient vers le Christ pour proclamer la Gloire de Dieu et le remercier. C’est le seul qui soit sauvé, les autres sont purifiés, mais de lui seul, le texte nous dit qu’il est sauvé. Il y a donc des degrés dans cette guérison : la délivrance de la maladie, la restauration dans le culte et au sommet, la reconnaissance.
Reconnaissance dans les deux sens du mot. Remerciement bien sûr, mais quand vous remerciez quelqu’un, c’est que vous reconnaissez qu’il a été pour vous source de bien. Que vous lui devez quelque chose. On a du mal à admettre qu’on doit beaucoup aux autres, notre orgueil voudrait tellement nous faire croire qu’on peut se suffire à soi-même, qu’on est assez grand pour se débrouiller tout seul. Bien sûr, mais pour l’essentiel, vous le devez à autrui, on vous a donné la vie, on vous a donné l’amour. Reconnaître que l’essentiel de ma vie est en Dieu, qu’Il me le confie, voilà ce qu’est le plus haut degré de la guérison. Et là,on a encore un petit bout de chemin à faire !
Demandons à Dieu de savoir le remercier, lui rendre grâce, c’est-à-dire le reconnaître comme source, alors nous le connaîtrons aussi comme but de notre vie, comme sens de notre vie, alors nous serons sauvés.