Les textes de ce jour mettent en rapport la justice et la joie ; la justice avec la proclamation de Jean-Baptiste et la joie avec les deux autres lectures. Comme s’il y avait une source de joie dans la conversion que propose Jean-Baptiste. Et c’est bien vrai, on le constate, une résolution, une décision à changer quelque chose de notre vie est sérieuse, vraie si elle est joyeuse. Souvenez-vous de Zachée, la joie qu’il éprouve dans la décision de changer sa vie ! Une décision à faire mieux, à corriger notre vie, à nous orienter vers le bien n’est pas sérieuse si elle regrette déjà ce qu’il lui faut abandonner. Le critère d’une vraie conversion, c’est la joie qu’on éprouve. Il y aurait beaucoup à dire d’ailleurs sur le rapport entre le sérieux et la joie, les gens tristes ne sont pas vraiment sérieux. Le rire et l’humour sont souvent des critères du vrai, le rire, pas la dérision !
Si la justice dans nos vies est source de joie, c’est parce qu’elle nous restaure dans notre dignité, c’est indigne d’être injuste, et subir l’injustice est quelque chose de dégradant. C’est pourquoi la justice est une condition de la paix. L’injustice entraîne forcément l’amertume, le ressentiment qui se tourne alors en haine, elle-même toujours injuste.
Pourtant, le combat pour la justice n’est pas toujours source de joie, il faut bien le reconnaître. Et pour plusieurs raisons, j’en vois trois. Tout d’abord, ceux qui luttent contre l’injustice connaissent bien des difficultés, les prophètes dont c’était une des protestations en savent quelque chose, ça leur attirait bien des ennuis. Jean Baptiste lui-même sera emprisonné puis tué. Le combat pour la justice coûte parfois cher, on entre dans des conflits d’intérêts, il faut bien du courage ! La seconde raison qui peut éteindre la joie, c’est que constater l’injustice, c’est très proche de la compassion, on est peiné de voir une situation injuste, c’est probablement le sens de la béatitude « bienheureux ceux qui pleurent », c’est-à-dire ceux qui sont touchés par la souffrance d’autrui, par l’injustice. C’est plutôt mieux que le contraire, ceux qui se ferment à toutes détresses en disant : « je n’y peux rien ». Il y a beaucoup de grandeur à être sensible à l’injustice, pourtant nous ne pouvons pas porter toute la misère du monde. D’où la troisième cause qui délie la joie de la justice, c’est qu’on risque fort de désespérer, la tâche est tellement immense ! Que faire face aux deux tiers de l’humanité qui vit dans la pauvreté, que faire devant tous ces feux que la guerre nourrit un peu partout ? C’est trop !
Alors Jean-Batiste propose aux gens non pas une solution face aux problèmes de l’humanité, mais il leur dit de rétablir, tout de suite, concrètement, dans leur vie, la pratique de la justice. Non pas pour oublier les problèmes du monde, mais pour restaurer en eux la foi en la justice et pour retrouver la joie. Jean a dû donner tout un tas de conseils à tous ceux qui venaient se convertir, des foules, nous dit-on, mais saint Luc a sélectionné trois situations typiques. Il y a des soldats, un collecteur d’impôts et les gens qui sont là. Chacun représente un type de conversion possible pour une plus grande justice.
Tout d’abord, « Que celui qui a de nombreux biens, partage » Rétablir une forme de justice par rapport à ce que nous avons, par rapport à notre consommation, comme on dit. Ensuite, au collecteur d’impôts, il dit de faire son travail avec droiture, honnêteté, de faire son devoir d’état. Aux soldats, il ne peut pas demander de ne pas exercer la violence, mais par contre de ne pas humilier autrui, de ne pas abuser du pouvoir qui est le sien. Autrement dit, ce sont des conseils qui touchent à ce que nous avons, à ce que nous sommes, au pouvoir que nous exerçons. L’avoir, l’être et le pourvoir, trois terrains de conversion à notre portée.
Peut-être bien que le monde est marqué par l’injustice, mais nous pouvons gagner pas à pas, humblement, quotidiennement, et éprouver la joie d’avoir conqui sur l’injustice un peu de terrain.
Je voudrais finir avec une ligne du cantique entendu après la première lecture : Jubilez, criez de joie, car il est grand au milieu de toi, le Saint d’Israël. Je crois que la première justice que nous ayons à rendre à tous, c’est d’annoncer cette joie ; Dieu vient, il y a de la grandeur en nous, la présence de Dieu. Ce serait injuste de ne pas le proclamer.