Ce que vous venez d’entendre est la suite du récit commencé dimanche dernier. Jésus se rend à Nazareth, le pays où il avait grandi, nous précise Luc. Dans la synagogue on lui propose de prendre la parole. Il lit le passage d’Isaïe : « l’esprit de Dieu repose sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction ». Puis il fait un enseignement que Luc ne nous restitue pas entièrement. Nous n’avons que les dernières phrases concernant l’extraordinaire histoire survenue à deux étrangers ; une veuve de Sarepta, du temps d’Elie et un général syrien du temps d’Elisée. Et c’est là que ça tourne au vinaigre !
Il y a deux choses que je voudrais méditer avec vous.
Tout d’abord, pourquoi l’assemblée est-elle si versatile ? Pourquoi n’y a-t-il pas d’effort pour comprendre ? Luc pourtant précise bien : « Tous lui rendaient témoignage, ils s’étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche. » C’est nous qui nous étonnons d’autant plus quand nous apprenons qu’un instant après ils veulent le tuer ! Il faut dire que Jésus vient de rappeler un sujet qui fâche ; le salut des païens ! Mais je crois que pour bien comprendre le problème qui se joue entre Jésus et eux, il faut remonter plus haut. Jésus n’est pas en train de leur contester une question de théologie ; le salut est-il ouvert ou non aux païens ? Ca viendra, mais plus tard, pour le moment, Jésus leur reproche plutôt une attitude spirituelle de fermeture. Tout se déclenche quand les gens réunis dans cette synagogue se demandent entre eux : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » C’est là que Jésus réagit - un peu vivement, il est vrai - mais non sans raison. Non sans raison car dans ce propos, il y a tout l’art pernicieux d’éteindre l’étonnement. Ils étaient en train de s’éveiller, de s’émerveiller, mais voilà que quelques-uns font courir le bruit : « mais on le connaît bien celui là, c’est le fils de Joseph, qu’est-ce qu’il nous raconte là, qu’est-ce qu’on peut apprendre de lui ? » Ces gens là, plaise à Dieu que nous n’en soyons pas, refusent de se laisser étonner. Ce sont de ces gens qui ne disent jamais « oui », mais toujours « oui, mais », il faut toujours qu’ils trouvent à redire, ils ne veulent pas se laisser enseigner. Pourquoi diable veulent-ils polluer tout de suite la source qui vient de jaillir ?
C’est la première fois, dans l’évangile de Luc que Jésus parle en public, et d’emblée, il nous met face à ce mystère du mal, du refus de la joie, de la grisaille, de l’ennui de ceux qui ne veulent plus bouger.
Le second aspect, c’est que nous avons dans cette scène, ce que je crois être les adieux de Jésus à sa mère. Adieux à sa mère dans trois sens. A son pays, à sa terre d’abord, il ne reviendra plus à Nazareth, le pays où il a grandi, c’est fini. Et puis, les adieux à Marie sa mère, dont on ne parlera plus dans Luc. Et enfin, c’est peut-être le plus important, les adieux à la synagogue, sa mère. La synagogue c’est la patrie où Jésus a grandi. Après cette scène un peu dramatique, Jésus part pour Capharnaüm, là il ira encore deux fois à la synagogue, mais nous assistons aux mêmes attitudes : admiration, et rejet violent. C’est alors que nous avons ce verset lourd de sens qui est peut-être le premier acte de naissance de l’Eglise : « quittant la synagogue, il entra dans la maison de Simon ». Naissance dans la douleur, tout comme St Paul, ce n’est pas par plaisir qu’il s’éloigne de la synagogue, c’est sa mère qu’il quitte. Mais il faut aller à ceux qui acceptent de se laisser enseigner, qui acceptent de s’étonner encore, qui acceptent la vie. Prions Dieu que nous soyons de ceux-là pour qu’il puisse entrer chez nous !
Quand Jésus quitte sa mère.