Dans l’évangile que vous venez d’entendre, le Christ fait de curieux rapprochements ! Il compare la venue du Fils de l’homme au déluge, c’est-à-dire à une catastrophe. Comment dès lors pourrions-nous souhaiter ou espérer la venue du Christ ?
Cet évangile plutôt que de décrire la fin des temps, nous enseigne une juste attitude intérieure pour accueillir Jésus qui vient. Et pour ce faire, Jésus utilise un récit bien connu, celui du déluge. Mais pourquoi une telle image si catastrophique ? Ce n’est pas la catastrophe qui l’intéresse, mais l’état dans lequel les gens se trouvaient avant le déluge, c’est d’ailleurs tout ce qu’il en dit : « les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’au déluge qui les a tous engloutis, ils mangeaient, buvaient se mariaient », rien de plus normal, de courant.
L’image du déluge est bien choisie, même si elle est un peu révoltante pour nous, car elle signifie des milliers de morts quand même ! Elle est bien choisie parce qu’une inondation a cette caractéristique que c’est à peine perceptible, et quand elle devient patente, sensible pour tout le monde, c’est qu’il est déjà trop tard. Tel est le danger qui nous guette le plus, la lente montée de ce qui nous submergera. Quel est ce danger ? La perversité, la violence ? Mais le Christ n’évoque rien de tout ça, « on mangeait, on buvait », rien de plus normal, la vie quoi, la routine ! La routine, voilà le danger qui nous submergera plus sûrement qu’un déluge. Voilà ce contre quoi le Christ nous met en garde.
Quand il nous demande de veiller, ce n’est pas pour nous terroriser, pour nous angoisser. C’est pour nous délivrer du sommeil de l’habitude. L’habitude qui est une grande pourvoyeuse de mort, une grande sourdine, qui éteint tout et d’abord la saveur des choses ordinaires. Car les choses ordinaires ont de la saveur, mais nous ne les goûtons plus.
Quand Jésus nous demande de veiller, ce n’est pas à la façon d’une sentinelle qui la nuit, se méfie du danger qui pourrait venir, c’est plutôt à la manière du randonneur qui se lève très tôt pour attendre l’aurore. Il sait la beauté de ce qui vient, mais il en est toujours surpris. Tel est l’éveil, la vigilance à laquelle le Christ nous appelle.
Savez-vous que toutes les grandes religions parlent de l’éveil comme une des plus grandes qualités spirituelles ? L’avent est un exercice spirituel d’éveil. Nous y luttons contre tout ce qui nous endort, les forces de la nuit. Le Christ nous avertit du danger qu’est le sommeil, car pendant que nous dormons, il est là, il vient, il nous visite, lui qui est la vie. Si nous ne sommes pas attentifs, éveillés à cette discrète présente en nos vies, plus rien ne se passe en notre vie, plus rien n’y passe, elle n’est plus visitée, elle n’est plus habitée.
La pointe de ce texte, c’est que le Christ vient visiter nos vies, toujours comme une surprise, mais une surprise qu’il nous faut attendre. Vous connaissez l’expression : « Je ne suis pas surpris, je n’en attendais rien ! » Et bien l’avent, c’est l’inverse, s’attendre à être surpris ! Attendre d’une façon active, en aiguisant notre goût de la beauté, notre goût de la bonté.
Demandons à Dieu la grâce que l’ordinaire ne devienne pas routine qui peut tout engloutir par la force de l’ennui. Demandons-lui la grâce d’être toujours surpris par la grandeur qui habite notre humanité et notre monde, que nous sachions le reconnaître quand il vient, que nous sachions le recevoir puisqu’il vient.