Si vous allez en Bourgogne dans la région de Cluny, vous trouverez un discret prieuré bénédictin, Berzé. C’était la retraite des abbés de Cluny au XII°. La petite chapelle est ornée de fresques. Vous y verrez le plus beau commentaire de cette parabole que vous venez d’entendre. Une prédication en couleur. Une prédication pour les yeux.
Dans l’abside, ce demi cercle tendu vers l’Orient, vers le soleil levant, symbole du Christ ressuscité vainqueur des ténèbres de la mort, s’ouvrent trois fenêtres. Autour de chacune d’elle, deux silhouettes féminines, les deux bras levés, 6 personnages en tout. Ce sont les cinq vierges sages, plus une. Chacune porte une lampe, la sixième porte une croix. Elles sont là autour des fenêtres, comme pour attendre la lumière qui vient. Elles attendent l’époux, celui qui vient épouser l’humanité. Celui qui vient réconcilier l’humanité avec Dieu, puisque notre vocation c’est d’être l’intime de Dieu. La 6° femme ne porte pas de lampe mais une croix. Cette 6° femme, c’est nous, c’est l’Eglise qui porte la croix comme on porte une lampe. La croix qui est signe de notre foi. C’est notre foi en la venue du Christ qui peut dissiper les ténèbres. Et l’huile de cette lampe est à puiser ici, dans la parole de Dieu, dans le don que le Christ fait de lui-même dans l’eucharistie. Les six femmes qu’on voit ne sont pas tournées vers l’Orient, elles sont tournées vers nous, ou plus exactement vers l’autel, car c’est en ce lieu, en cette église que l’époux se rend présent. Oui, ceux qui ont peint cela savaient prêcher.
Dans la première lecture aujourd’hui nous avons un de ces petits bijoux que l’Ancien Testament nous réserve au détour des pages. C’est extrait du livre de la Sagesse, et on y parle en effet de Sagesse. La Sagesse divine. La Sagesse Divine, c’est tout aussi bien le verbe de Dieu, le Logos que l’Esprit Saint, l’Esprit créateur, le souffle de Dieu qui donne vie. Ce n’est pas tellement l’intelligence, mais l’Esprit qui parle à notre esprit. Ce n’est pas seulement l’art de bien se conduire, mais c’est participer à une raison plus grande que la nôtre. La Sagesse est un attribut de Dieu. Or, le texte que vous avez entendu nous laisse entendre une étrange complicité entre cette Sagesse et nous, un discret compagnonnage. La Sagesse est comme l’Esprit Saint, elle a cette caractéristique de ne se donner qu’à ceux qui la veulent, qui la cherchent. Elle est là, "assise à ta porte" nous dit le texte, mais comme impuissante, si nous ne la désirons pas. "Celui qui la cherche dès l’aurore ne se fatiguera pas", en effet car chercher la sagesse divine, c’est être sage. Quoi de plus sage que de chercher la sagesse, quoi de plus fou que de se prétendre plein de sagesse !
Une autre caractéristique de cet Esprit Saint, de cette Sagesse Divine, c’est qu’elle aussi nous cherche. "La sagesse devance leurs désirs en se montrant à eux la première". Dieu est en quête de l’homme, la Sagesse cherche ses amants. "La Sagesse va et vient, nous dit encore le texte, pour rechercher ceux qui sont dignes d’elle". Seul est digne de la Sagesse de Dieu celui qui la veut. Celui qui se prétend sage et savant n’est pas digne de la Sagesse, puisqu’il prétend la détenir. S’il ne la cherche plus, il est indigne de la Sagesse. Par contre celui qui la veut parce qu’il sait qu’il a besoin d’elle, qu’il est faible et qu’il a besoin de la force de l’Esprit, pour celui là, "elle apparaît avec un visage souriant, au détour d’un sentier". Visage souriant, en effet elle est source de joie. De cette joie qu’on éprouve quand on a une intuition, quand soudain on comprend.
Ce texte défie le commentaire. Il est beau de bout en bout. Relisez-le, apprenez le par coeur. Vous ne perdrez pas votre temps, la beauté réchauffe le coeur. Et à désirer la Sagesse on devient sage.
Encore une fois, les artistes ont su dire cette Sagesse. C’est incroyable. On devrait leur laisser la parole plus souvent. Comme par exemple à Istanbul, Constantinople où on peut admirer une des plus étonnantes églises du monde chrétien. Une église du 6° siècle appelée précisément "la sagesse divine", agia sophia. Comment ont-ils réussi à exprimer la Sagesse divine ? Et bien on fait un énorme espace intérieur, un énorme désir, un vide fait pour recevoir, tendu vers le ciel, il faut désirer la Sagesse pour qu’elle advienne. Et on y fait pleuvoir la lumière à flots. La lumière ; à la fois resplendissante et insaisissable, tout comme l’Esprit Saint. Et quand l’Eglise s’en fait le réceptacle elle en est transfigurée, elle devient la porte du ciel.