Pour bien comprendre cet épisode, il faut repérer sa place dans le texte de Marc. Or si nous observons bien, en lisant quelques versets plus loin, nous avons un autre récit de guérison qui reprend exactement les mêmes termes, il s’agit cette fois d’un aveugle qu’on présente à Jésus comme notre sourd, que Jésus entraîne à l’écart de la foule, comme dans notre récit, là aussi, il utilise de la salive, là aussi il impose les mains. En regardant un peu mieux, on découvre que ces deux guérisons sont dans un ensemble très cohérent qu’on pourrait appeler " les multiplications des pains ". Vous avez une première multiplication des pains, suivie de scènes où l’incompré-hension des pharisiens et des disciples se fait évidente, et ... la guérison du sourd-muet. Puis une seconde multiplication des pains, à nouveau l’incompréhension des disciples, la guérison d’un aveugle. Après ces deux séries ; signe extraordinaire, incompréhension, guérison, vient alors la profession de foi de Pierre, peut-être bien la vraie guérison dont les deux autres ne sont que les signes. les disciples sont guéris. Guéris de leur incompréhension, de leur inintelligence. C’est ce dont se lamente le Christ avant chacun de ces miracles. " Comment se fait-il que vous soyez sans intelligence ? " Un peu plus loin : " Vous ne comprenez décidément pas ? " répété deux fois et encore : " Auriez-vous le cœur endurci ? Vous avez des yeux, vous ne voyez pas, vous avez des oreilles, vous n’entendez pas ! "....
Vous voyez bien qu’il y a dans ce miracle, non pas une scène touchante où nous verrions le Christ apitoyé par les handicaps concrets, mais le soucis de guérir ce qui nous empêche de comprendre. Il met le doigt sur la source de notre inintelligence, nous ne savons pas voir, ni entendre. C’est notre regard, c’est notre écoute qu’il faut guérir pour croire. Mais pour guérir notre regard et notre écoute, comment faire ? Le texte nous propose deux voies : l’ouverture et le recueillement.
Vous savez, notre regard et notre écoute souffrent de deux maladies. Pour bien vous expliquer je vais prendre l’image du touriste.
Le premier mal dont souffre le touriste, c’est la boulimie, il veut tout voir, il collectionne les sites, il court d’un endroit à l’autre, ses journées consistent à enfiler le plus possibles d’endroits qu’il faut avoir "faits". On dit d’ailleurs de ce touriste là, qu’il "fait" des sites. Il ne les visite pas, pensez-vous, il faudrait du temps, de la patience et de l’étude pour vraiment visiter.
L’autre mal, c’est le vacancier qui ne s’intéresse à rien, si ce n’est à son bronzage, ni aux gens, ni aux sites, ni à la culture. Il reproduit les mêmes habitudes que chez lui, il ne change rien, il n’est pas curieux.
Le premier souffre d’un manque de recueillement, l’autre d’un manque d’ouverture. L’ouverture, c’est l’estime d’autrui, l’ouverture consiste à ne plus être le centre du monde, à se laisser construire par l’autre, à se laisser enseigner. Le recueillement c’est réunifier ce qui était dispersé, le recueillement consiste à se poser, à faire le point, à s’écarter un peu du tumulte et des agitations, non pas pour ne plus penser qu’à soi, mais pour que l’autre prenne vraiment sa place en moi. Vous avez remarqué que Jésus conduit le sourd à l’écart, et c’est par cette retraite, par ce recueillement qu’il le guérit. Et pour le guérir que lui dit-il ? "Ouvre-toi".
Recueillement et ouverture. Voilà le secret pour non plus seulement entendre mais écouter, non plus seulement voir mais regarder. La différence qu’il y a entre entendre et regarder, c’est qu’entendre est un procédé mécanique, écouter est l’effet de la volonté, on se tourne vers l’autre. Là où l’oreille ne fait qu’entendre, l’écoute cherche, scrute. De même vous pouvez voir dès que vous avez des yeux, encore faut-il savoir regarder. Regarder, c’est vouloir voir. Regarder, écouter, c’est s’ouvrir à l’autre.
Ces deux guérisons font advenir la foi de Pierre. Il s’agit bien-sûr de comprendre Dieu, ou au moins de comprendre quelque chose de sa présence, de s’y éveiller. Pour ce faire deux moyens ; recueillement, ouverture. De même que nous avons tous, sauf accident, la capacité de voir et entendre, de même nous avons tous la capacité de connaître, de faire l’expérience de Dieu. Nous avons en nous la capacité de voir et d’entendre Dieu, mais il faut que nous en ayons la volonté de nous ouvrir à sa présence.
Au début de cette année scolaire, demandons à Dieu la grâce de savoir à nouveau regarder, écouter, la grâce de nous émerveiller.