Dans l’évangile de Marc, ce texte de la transfiguration se situe juste après que Jésus ait annoncé à ses apôtres qu’il allait être condamné à mort. Vous pensez bien que ça leur a fait un choc terrible. Au Vème siècle, le pape St Léon explique : " par cette transfiguration, Jésus voulait avant tout prémunir ses disciples contre le scandale de la croix et en leur révélant toute la splendeur de sa gloire encore cachée, il voulait empêcher que les épreuves de sa passion ne bouleversent leur foi. " Par cette vision du Christ dans toute sa splendeur, les apôtres ont en quelque sorte une image du Christ ressuscité. Voilà ce que dit St Léon, ensuite il explique la présence de ces deux personnages, Elie et Moïse. Bien étrange, en effet, je voudrai méditer avec vous quatre points sur Elie et Moïse.
Le premier aspect est bien connu, les pères de l’Eglise en ont beaucoup parlé. Le texte nous dit que Moïse et Elie s’entretiennent avec Jésus. Or ils représentent la Loi et les Prophètes, c’est-à-dire tout l’Ancien Testament. Les lois que l’on trouve dans les cinq premiers livres de la Bible sont en effet attribuées à Moïse. Et Elie est le type même du prophète. Et s’ils sont là, c’est pour rappeler qu’entre l’ancien testament et Jésus, il y a un accord de fond, c’est la même source, mais Jésus est l’accomplissement de tout ce que la Loi et les Prophètes annonçaient. Jésus parle avec eux parce qu’il est celui qui leur donne sens. Ils sont, si vous voulez, les paroles qui attendent la Parole. Le Christ est la Parole de Dieu déjà présente en eux. Dans cette scène c’est toute la Parole de Dieu qui est transfigurée, accomplie.
Le second point qui peut nous éclairer, ce sont les destins semblables de Moïse, Elie et Jésus. L’Ancien Testament nous apprend qu’Elie est transporté au ciel dans un char de feu, ça veut dire que la mort ne l’a pas atteint (2 R 2, 12). Quant à Moïse, on ne sait rien de sa mort. On ne sait qu’une chose, c’est qu’il n’est pas entré en terre promise, il est resté en deçà. Nul ne connaît l’endroit de sa tombe, jusqu’à ce jour, nous dit le livre du Deutéronome (ch. 30). Dans un écrit tardif de la tradition juive, (2 Henoch 1, 9) il est dit que lui aussi est monté au ciel, il n’a pas connu la mort ! Pierre, Jacques et Jean qui savent tout ça, auraient pu comprendre. Moïse et Elie sont là avec Jésus pour dire que la mort ne le retiendra pas, qu’il sera vainqueur de la mort. Sur la route de Jérusalem, alors que Jésus vient d’annoncer sa mort, la présence d’Elie et Moïse annonce sa résurrection.
Un troisième élément important nous est donné si nous observons qu’Elie et Moïse ont tous deux fait la même expérience spirituelle. Tous les deux ont vu Dieu, mais d’une manière mystérieuse. Ils ont fait l’expérience de sa proximité et cependant de sa distance. Moïse a vu Dieu, mais de dos et Elie, à l’Horeb a entendu, a senti la présence de Dieu, mais dans un léger souffle, dans le bruit d’un léger silence, nous dit le texte (1 R 19). Il y a là, dans ces expériences quelque chose de déterminant pour nous. Il nous faut savoir que Dieu dans sa présence, reste infiniment discret. Nous pouvons nous aussi faire l’expérience de sa proximité, mais comme retenue, à distance. C’est pour ça d’ailleurs que les autels sont toujours à quelque distance. Expérience radicale, certes, comme la transfiguration, mais éphémère. Sentiment de proximité, de plénitude, mais aussi de mystère. Etrange expérience spirituelle, comme si Dieu se donnait à nous, mais se dérobait aussitôt, interdisant toute saisie !
Il y a un quatrième point. Moïse, après avoir vu Dieu, partira pour conduire son peuple en terre promise. Elie, après avoir fait cette expérience de la discrète présence de Dieu, se jettera dans la bataille et ira détrôner une reine idolâtre. Autrement dit, ces évènements poussent ces hommes jusqu’au bout de leur route. Ces évènements les fortifient dans leur mission. De même les apôtres, après cette vision, accompagneront le Christ jusqu’à Jérusalem et au-delà.
La présence d’Elie et Moïse à la transfiguration est riche d’enseignements, elle nous annonce la victoire sur la mort, elle nous enseigne que toute l’Ecriture s’accomplit en Jésus, elle nous rappelle que toute expérience spirituelle révèle à la fois la présence et la discrétion de Dieu, elle nous annonce enfin que quand Dieu se donne à nous, c’est pour nous fortifier dans notre mission.
Que Dieu nous rende sensibles à sa présence pour que nous soyons forts sur notre route.