Dimanche 15 février 2004 - Sixième Dimanche

Le texte que nous avons aujourd’hui est bien mystérieux !

Jérémie 17,5-8 - 1 Corinthiens 15,12.16-20 - Luc 6,17.20-26
dimanche 15 février 2004.
 

Le texte que nous avons aujourd’hui est bien mystérieux ! Il ressemble aux béatitudes que nous lisons dans St Mathieu le jour de la Toussaint, mais ce n’est pas tout à fait le même vocabulaire. Il n’y a que quatre béatitudes et on lit aussi quatre paroles qui ressemblent fort à des malédictions. Ce qui rend ce texte assez dur, assez tranchant.

Je crois qu’il faut tout d’abord écarter les risques de contre sens et de fausses pistes.

La première impasse consiste à croire que Jésus est ici en train de bénir la misère, la souffrance. Plus on souffre, mieux c’est ! Ce serait une interprétation perverse. La souffrance et la misère appartiennent au mal, aux puissances de mort que Jésus est venu vaincre. Combien de fois nous dit-il de venir en aide aux opprimés, aux affamés ? Pourquoi le ferions-nous puisqu’ils sont bénis, « bienheureux les pauvres », faudrait surtout pas les priver de ça ! Vous voyez bien l’absurdité de cette fausse piste.

Seconde erreur c’est l’interprétation marxiste qui voit là ce qu’ils ont appelé l’opium du peuple. On donne aux pauvres l’illusion d’une revanche posthume dans l’au-delà, comme ça ils se tiennent tranquilles ici-bas.

Il y a une troisième fausse piste, elle est propre aux catholicisme occidental, c’est de culpabiliser quand tout va bien, en particulier par rapport à l’argent. Malheur à vous les riches, pourquoi ? Parce que vous êtes riches ! Mais non ! Tout dépend du rapport que vous avez à l’argent et l’usage que vous en faites. Notez bien que de nos jours ce serait pas un mal de culpabiliser un peu quand même. C’est pas si mauvais de s’interroger sur la justice sociale, sur le bien fondé de nos consommations ou la décence de nos dépenses.

Comme vous voyez bien ces impasses portent malgré tout de légitimes interrogations.

Ayant écarté ces fausses pistes, revenons au texte.

Nous avons quatre béatitudes et quatre plaintes. Elles se répondent exactement et donc, nous pouvons comprendre les béatitudes par leurs contraires. D’autre part, le premier bienheureux et le premier malheureux sont développés par les seconds et troisièmes, on parle de la même chose. Dans la première série, celle des bienheureux, les pauvres, ce sont les « anawim », c’est-à-dire ceux qui n’ont pas le cœur fier ni le regard ambitieux, ce sont les humbles, ceux dont le désir n’est pas superficiel, mais vital. Les pauvres, ceux qui ont faim, ceux qui s’apitoient, ce sont les mêmes, c’est la même attitude spirituelle de fond. Au contraire le riche, le repus, c’est celui qui fait le fier, celui dont le désir s’est réduit à ses caprices, à ses envies. Il a tout pour être heureux, sauf qu’il en a trop ! Et ça éteint en lui le désir. Le pire est dit dans la première de ces quatre plaintes qu’on peut traduire littéralement : « Hélas, pour vous les riches, car vous êtes votre propre consolation », vous êtes fiers de vous, d’ailleurs vous avez toujours raison, vous êtes à vous-mêmes votre propre dieu.

Vous comprenez bien qu’il y a beaucoup plus de danger au riche qu’au pauvre d’être auto-satisfait. Il n’y a pas de danger qu’un pauvre fasse de sa pauvreté un absolu dont il ne veut rien perdre, pour un riche, oui, il y a ce danger. Un repu risque fort de faire le fier devant sa réussite, un pauvre non.

Vous voyez bien qu’il s’agit ni de maudire les riches ni de bénir les pauvres. Jésus nous parle d’une attitude spirituelle de fond qui consiste à sortir de notre suffisance (l’image du riche) et à laisser grandir en nous le désir d’une vie meilleure, plus haute (l’image du pauvre).

Il ne s’agit ni de bénédictions ne de malédictions, d’ailleurs, le vocabulaire nous l’indique. Le mot grec qu’on a traduit par « malheureux » veut dire « hélas », c’est un constat du genre « quel dommage » ! Quand au mot bienheureux, il est très difficile à rendre. Les latins ont traduit par « augurium » dont la racine indo-européenne signifie « ce dans quoi, ce par quoi on est conduit », le chemin qu’on prend nous prend. Ce qui a donné à ce mot une notion de destin, d’où l’expression « c’est de bonne augure ». Mais le mot hébreux « asheri » qualifie celui qui marche dans les voies du Seigneur . Voilà le bonheur dont on nous parle. Quel dommage quand on a échappé à la pauvreté de réduire sa vie au gavage ! Quel bonheur au contraire de savoir qu’au delà de tous ces biens, il y a un bien qui les dépasse tous : marcher dans la trace de Dieu.