La fête de la Pentecôte nous vient de la tradition juive. Et la tradition juive a transformé une vieille fête agricole pour en faire, cinquante jours après Pâques, la Pentecôte, mot grec qui signifie cinquante. Evidemment ce n’est plus une fête agricole, mais on célèbre un événement religieux bien plus important ; le don de la loi au Sinaï. Après avoir fait fuir le peuple hébreu de l’Egypte, Moïse le conduit à travers le désert et, selon la tradition juive, 50 jours après la traversée de la mer rouge, Moïse monte sur la montagne du Sinaï et là, il reçoit la Loi, les dix paroles. Et en vérité, c’est à ce moment là seulement que s’opère la vraie libération des hébreux, non plus dans la fuite d’Egypte mais dans le don de la Parole. Car c’est la Parole qui libère. Voilà ce que les juifs célèbrent à la Pentecôte.
Or dans le texte de la Pentecôte que nous avons entendu en première lecture, Luc prend bien soin de noter des signes étonnants que les témoins identifient facilement. Ce sont les mêmes signes qu’au Sinaï. Dans le livre de l’Exode, nous lisons : "Dès le matin, il y eut un très puissant son, comme un tonnerre. Le Seigneur était descendu dans le feu". Et dans les actes des Apôtres, c’est également au petit matin : "Tout à coup vint du ciel un bruit tel que celui d’un violent coup de vent, ils virent apparaître comme une sorte de feu". Vous l’avez compris, la Pentecôte est un nouveau Sinaï.
Que faut-il en comprendre ? Deux choses. Que l’Esprit est notre loi, que la Parole qui nous est donnée n’est pas à comprendre selon la lettre, mais selon l’esprit, car l’Esprit habite la Parole, la Parole n’est pas une liste de prescriptions, mais le lieu de l’Esprit. Deuxièmement, le don de l’Esprit Saint est source de libération, comme les dix paroles le furent pour les hébreux. Il nous libère de nos esclavages, de nos idoles, de nos péchés, de nos sommeils.
Voilà un premier aspect que le mot même de Pentecôte nous indique. Voyons un second aspect.
La foule s’assemble à cause des signes dont je viens de parler et ils entendent les apôtres parler "en d’autres langues selon l’Esprit", nous dit le texte. C’est un miracle étonnant. Mais où est le miracle ? Est-il dans le fait que les apôtres tout d’un coup parleraient de nombreuses langues, ou bien le miracle est-il dans le fait qu’on entende les apôtres ? Je penche plutôt pour la deuxième interprétation. Le miracle c’est que les gens entendent. Mais ce n’est pas sans raison ! S’ils entendent, c’est parce que les apôtres parlent selon l’Esprit Saint. Et le texte de ce point de vue doit nous conduire à un réel optimisme, à un nouveau regard sur le monde. En effet nous lisons : "comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? Tous, nous les entendons proclamer dans nos langues les merveilles de Dieu." Comme si dès l’instant où nous proclamions Dieu selon l’Esprit, tout homme pouvait entendre. Et il y aurait alors plus fort que les différences culturelles, les différences de langues, un fondement commun qui pourrait être entendu, qui pourrait être reconnu parce qu’il habite en tous. Ce fond commun est en chacun comme une autre langue maternelle. Evoquer la langue maternelle, c’est évoquer notre origine, le lieu où nous sommes chez nous, le lieu où la vie nous fut donnée. Ce fond commun, cette langue commune, c’est le désir de Dieu, c’est la quête de l’absolu, c’est la soif d’infini. Et en effet, c’est dans le désir de Dieu que nous sommes vraiment chez nous, ailleurs nous sommes en exil. Cette langue maternelle, ce fond commun à tout homme, c’est l’Esprit Saint qui vient les réveiller. Et entendre les merveilles de Dieu n’est plus alors une chose étrange, difficile à comprendre, mais une joie qui vient en nous comme des retrouvailles.
Demandons à Dieu le don de l’Esprit Saint que nous sachions annoncer le Christ en vérité pour qu’en ceux qui nous entendent s’éveille ce que Dieu lui-même a déposé.