Pour bien comprendre cet évangile, il faut repérer la place de cet épisode dans le texte de Marc. Or si nous observons bien, en lisant quelques versets plus loin, nous avons un autre récit de guérison qui reprend exactement les mêmes termes, il s’agit cette fois d’un aveugle que Jésus entraîne à l’écart de la foule, comme dans notre récit, là aussi, il utilise de la salive, là aussi il impose les mains. Or entre les deux miracles, nous avons cette déclaration du Christ "ils ont des oreilles et n’entendent pas, des yeux et ne voient pas" et nous l’entendons par deux fois se plaindre de ses disciples : "comment se fait-il qu’ils ne comprennent pas"...
Vous voyez bien qu’il y a dans ce miracle, non pas une scène touchante où nous verrions le Christ apitoyé par les handicaps concrets, mais le soucis de guérir ce qui nous empêche de comprendre. Il met le doigt sur la source de notre inintelligence, nous ne savons pas voir, ni entendre. C’est notre regard, c’est notre écoute qu’il faut guérir.
Avez-vous remarqué que Jésus conduit le sourd à l’écart, tout comme il le fera pour l’aveugle, et c’est par cette retraite, par cet écart qu’il le guérit. Et pour le guérir que lui dit-il ? "Ouvre-toi". Et donc, pour guérir notre regard et notre écoute, je vous propose deux voies, inspirées par cette lecture bien sûr : la voie du recueillement que semble indiquer cette mise à l’écart et la voie de l’ouverture suscitée par la parole même de Jésus « Ouvre-toi ».
Notre regard et notre écoute sont à guérir, fort bien ! Mais de quoi souffrent-ils ? Principalement, nous souffrons de deux maux et pour bien vous expliquer je vais prendre l’image du touriste.
Le premier mal dont souffre le touriste, c’est la boulimie, il veut tout voir, il collectionne les sites, il court d’un endroit à l’autre, ses journées consistent à enfiler le plus possible d’endroits qu’il faut avoir "faits". On dit d’ailleurs de ce touriste là, qu’il "fait" des sites. Il ne les visite pas, pensez-vous, il faudrait du temps, de la patience et de l’étude pour vraiment visiter. Il ne décolle pas des choses, il est toujours dans une attitude de dévoration, il ne sait pas aller à l’écart.
L’autre mal, c’est le vacancier qui ne s’intéresse à rien, ni aux gens, ni aux sites, ni à la culture. Il reproduit les mêmes habitudes que chez lui, il ne change rien, il n’est pas curieux.
Le premier souffre d’un manque de recueillement, l’autre d’un manque d’ouverture. L’ouverture, c’est l’estime d’autrui, l’ouverture consiste à ne plus être le centre du monde, à se laisser construire par l’autre, à se laisser enseigner. Le recueillement c’est réunifier ce qui était dispersé. Le recueillement consiste à se poser, à faire le point, à s’écarter un peu du tumulte et des agitations, non pas pour ne plus penser qu’à soi, mais pour que les choses que nous vivons, les gens que nous rencontrons soient correctement estimés grâce à cette juste distance.
Recueillement et ouverture. Voilà le secret pour non plus seulement entendre vaguement, mais écouter, non plus seulement voir mais regarder. La différence qu’il y a entre entendre et regarder, c’est qu’entendre est un procédé mécanique, écouter est l’effet de la volonté, on se tourne vers l’autre. Là où l’oreille ne fait qu’entendre, l’écoute cherche, scrute. De même, vous pouvez voir dès que vous avez des yeux, encore faut-il savoir regarder. Regarder, c’est vouloir voir. Regarder, écouter, c’est s’ouvrir à l’autre.
Pour commencer ce commentaire, je vous rappelais cette interrogation de Jésus, quelques versets après cet épisode : "comment se fait-il que vous ne compreniez pas ?". Il s’agit bien sûr de comprendre Dieu, ou au moins de comprendre quelque chose de sa présence, de s’y éveiller. Pour ce faire deux moyens ; recueillement, ouverture. De même que nous avons tous, sauf accident, la capacité de voir et entendre, de même nous avons tous la capacité de connaître, de faire l’expérience de Dieu. Nous avons en nous la capacité de voir et d’entendre Dieu, mais il faut que nous ayons la volonté de nous ouvrir à sa présence.
Au début de cette année scolaire, demandons à Dieu la grâce de savoir à nouveau regarder, écouter, la grâce de nous émerveiller. Qu’il nous donne de renouveler notre regard, notre écoute. Qu’il nous donne cette richesse de l’a priori bienveillant..