11 novembre 2004

Cet été s’est tenu à Fès, le fameux festival de musique sacrée.

Phm 7-20- Lc 17, 20-25
jeudi 11 novembre 2004.
 

Cet été s’est tenu à Fès, le fameux festival de musique sacrée. Heureuse initiative qui depuis presque 15 ans réunit les diverses religions autour de leurs expressions musicales. Cette année, plusieurs personnalités ont été invitées pour parler de ce qui, à leur avis, dans la spiritualité, contribue à la paix. Jacques Attali était un des intervenants. C’est en l’écoutant que je me suis dit qu’il fallait que je vous en parle, à l’occasion de cette prière pour la paix qui nous réunit.

Tout d’abord, comment se fait-il que les spiritualités puissent engendrer la violence et le haine ? Nous trouvons de quoi répondre dans le dernier livre d’Attali. Dans cet ouvrage, M. Attali campe deux grands intellectuels : Averroès, musulman et Maïmonide, un juif. Ces deux immenses penseurs ont tous deux résidé à Cordoue au XIIe siècle. Il faut se rappeler que l’Andalousie a connu au Xe et XIe siècles, sous un régime musulman, une belle période de tolérance et même d’enrichissement mutuel des trois religions monothéistes. Or au XIIe sont venues deux dynasties qui ont brillé par leur intolérance. Averroès et Maïmonide en ont été victimes et tous deux été expulsés. Ce qu’il est intéressant de bien observer, c’est qu’une même religion, musulmane en l’occurrence, suscite deux types de comportement social très contrastés et même opposés. Que s’est-il passé ? Comment naît l’intolérance ? De deux choses : l’imposition d’une transcendance absolue et la tentation de la pureté. Ce qui se traduit par un rejet de la spéculation intellectuelle et une sorte de répugnance pour les formes esthétiques. Les deux dégoûts vont souvent ensemble ! Mais oui parce que le beau permet aux capacités sensitives de découvrir de la grandeur en chaque homme en dehors de toute révélation, si ce n’est celle qui s’éveille alors en nous. Le fondement de cette attitude est dans le refus que la transcendance puisse s’incarner. Car aussi bien la beauté que le travail de l’intelligence sont deux façons de faire vivre, de faire goûter la transcendance. Dès lors l’un et l’autre peuvent conduire à Dieu, ce que refuse l’intégrisme andalou du XIIe . Car on ne monte pas vers Dieu, ni l’effort de la pensée ni l’émerveillement du beau ne peuvent dire quoique ce soit de Dieu. Le seul effort que l’homme doit produire, c’est d’obéir aux prescriptions de la Loi. Grâce à Dieu, ce n’est pas là, nous devons l’espérer, la principale voie de l’Islam. Eduquer au beau et à la réflexion sont deux voies indissociables qui conduisent à la paix. La transcendance ne s’impose pas, elle se goûte.

Je voudrais maintenant emprunter au discours de Jacques Attali, cet été. Pour lui le spirituel peut être source de paix s’il garde trois valeurs que je fais miennes et qui sont bien proches de l’Evangile.

Première valeur : le devoir d’indignation. Et notamment contre la souffrance. On lutte contre la souffrance, on ne s’y résigne pas. Le Christ passe son temps à guérir ceux que la souffrance détruit, ce n’est pas pour qu’ensuite, nous nous mettions à bénir celle-ci.

Seconde valeur : la curiosité. Chercher à comprendre, même les positions contraires aux nôtres. Quand le Christ demande d’aimer même ses ennemis, il pousse très loin l’exigence, mais le fond est bien le même, il ne s’agit pas d’être seulement tolérant, il faut le respect, et donc le travail de l’intelligence qui cherche à comprendre. Quand Jésus dit : « la vérité vous rendra libre », il faut dire que la vérité nous rend libre même de la vérité des pensées et des systèmes. C’est dire que nos vérités ne peuvent tenir la vérité. Celle-ci est toujours une quête.

Troisième valeur. Jacques Attali cite alors le Lévitique, c’est la première lecture que vous avez entendue : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Formidable sagesse qui proclame que ceux qui font preuve d’intolérance ont fort peu d’estime, pour les autres bien entendu, mais même pour eux-mêmes, car ils ignorent, ils oublient alors le mystère qu’ils sont pour eux-mêmes. Le mystère, source d’émerveillement qu’ils refusent à l’autre, ils l’ont oublié en eux puisqu’ils sont remplis d’eux-mêmes, ils ne s’aiment pas. Ce que la beauté éveille en nous, ce que le prochain nous impose de reconnaître, c’est qu’il y a en chacun une grandeur insaisissable.

Voilà trois principes que je vous invite à méditer et qui sont en effet source de paix.

Si j’ai beaucoup emprunté à M Attali, ce n’est pas qu’il soit pour moi parole d’Evangile, mais il faut saluer la raison quand elle travaille pour la paix.