Nous célébrons aujourd’hui une fête dont nous avons peu l’habitude : la fête de la croix glorieuse. Cette fête évoque ce qui s’est passé le 14 septembre 351. L’empereur Constantin s’est converti au christianisme en 313 et il entreprend de faire construire des basiliques sur tous les lieux importants de la vie de Jésus et bien sur, il fait construire à Jérusalem, un magnifique édifice cylindrique, le saint sépulcre appelé aussi Anastasis qui veut dire résurrection sur le tombeau vide du Christ et à quelques dizaines de mètres une vaste basilique. Or en 351 Hélène, la mère de l’empereur Constantin, fait fouiller le sol autour du saint sépulcre et on découvre les restes de la croix du Christ, ça se passait un 14 septembre. C’est évidemment un grand événement pour tout le monde chrétien, c’est ce que nous fêtons aujourd’hui.
De cette date va débuter, dans l’art chrétien, la tradition de représenter des croix. Il faut savoir que dans les premiers siècles de l’Église, on ne représente pas la croix, les seuls symboles chrétiens sont l’ancre, le bon pasteur, le poisson et le chrisme, ce sont les deux lettres grecques écrites l’une sur l’autre, X et P qui veulent dire Christ. Dans les années où Hélène découvre la croix, son fils l’empereur fait ériger au St sépulcre une croix couverte d’or, argent et pierres précieuses. C’est cette croix qu’on appelle la croix glorieuse. Au 4ème et 5ème siècles cette croix va être reproduite au fond des absides en mosaïque et en fresques. Une croix sans crucifié. On la voit parfois sur un trône, parfois au milieu d’un ciel étoilé ou encore surplombant le Christ. Ce qu’on veut exprimer c’est bien sûr la victoire du Christ sur la mort. D’ailleurs dès cette époque les églises elles-mêmes vont prendre la forme de la croix car en entrant dans l’Eglise, le chrétien entre déjà dans la victoire de la résurrection sur la mort. Les chrétiens rassemblés dans l’église forment le Corps du Christ. Le corps du Christ n’est pas représenté sur la croix, puisqu’il est vivant dans les chrétiens assemblés.
C’est la raison pour laquelle à partir du VIII°, la croix vient au milieu de l’église sur un autel ou sur une poutre de Gloire. On l’appelle ainsi parce que la croix ne représente pas à cette époque le crucifié dans les souffrances de sa mort, mais on le représente, souvent vêtu, parfois comme un prince, les yeux grand ouverts, le corps bien droit, les mains ne semblant pas clouées à la croix, mais ouvertes pour bénir et accueillir, pour embrasser le monde. Si vous vous êtes rendu chez les jésuites de Clamart, vous verrez une croix de ce style. C’est cette image là qui illustre la fête de ce jour ; la croix glorieuse. En ce temps-là, on voit dans la croix, la victoire du Christ sur la mort, les aspects concrets de sa mort ne sont pas marqués. C’est le cas de l’image que nous avons reproduite sur vos feuilles.
A partir du X° siècle et jusqu’au XII° apparaissent des crucifix avec un crucifié dessus, et de plus en plus le corps du Christ va être représenté avec réalisme, les yeux fermés, le corps affaissé, les traits tirés. Après le XIII° siècle c’est souvent cette image qui va prédominer dans le chœur des églises et notamment sur les retables qui apparaissent à cette époque.
Après ce rapide petit cours d’histoire de l’art chrétien, voyons les enjeux théologiques de ces peintures.
Vous comprenez bien que le souci des artistes -profondément chrétiens- qui ornent les églises, c’est de tenir à la fois le réalisme de la mort du Christ et d’exprimer aussi le fait que la mort ne le retient pas captif. En effet, Dieu s’est fait homme pour tout assumer de notre condition humaine, pour tout transfigurer. Et donc on n’a pas à cacher sa mort. Dans sa mort il assume la nôtre. Mais, la solidarité avec nos souffrances ne suffit pas, s’il en reste là. Car s’il est mort sans rien d’autre, en quoi ouvre-t-il une brèche dans l’absurde de la mort. Il faut aussi représenter la résurrection. Mais ça, c’est bien difficile ! Alors les artistes vont tenter d’indiquer, de suggérer dans la mort, la présence de la résurrection, de la gloire du ressuscité.
Si vous regardez bien cette image sur vos feuilles, vous allez voir tous ces aspects. C’est une crucifixion transfigurée. C’est une croix glorieuse qui exprime d’avantage la résurrection que la mort seule. Ce n’est pas une image illustrant le moment de la mort de Jésus que nous avons ici, c’est une icône de notre foi ; dans la mort du Christ, la vie est offerte.
Bibiliographie :
Revue Le monde de la Bible, N° 97, avril 96
Liliane VEZIN, Beauté du Christ dans l’art, Mame, 1997
Jean Marie TEZE, Théophanies du Christ, Desclée, 1988.