Tous les ans, entre Pâques et Pentecôte, nous avons l’évangile de Jean à méditer. C’est un texte fascinant mais difficile. Je vous ai déjà expliqué qu’il fallait repérer les répétitions. Il y a des expressions, des verbes qui reviennent sans arrêt et au fur et à mesure de la lecture, on finit par comprendre. Aujourd’hui nous avons par exemple le verbe garder, dans le sens de protéger : « gardes mes disciples dans la fidélité », « gardes-les du mauvais ». Une autre expression, assez curieuse ; « consacres-les par la vérité » qui revient deux fois. Mais probablement l’avez-vous remarqué, ce qui revient sans arrêt c’est le mot « monde ». Huit fois.
C’est sur ce mot que nous allons réfléchir. Tout d’abord, le Christ dit « ils ne sont pas du monde - ils parlent de ses disciples - comme je ne suis pas du monde », ça revient quatre fois. Puis, c’est Jésus qui parle : « tu m’as envoyé dans le monde, je les ai envoyés dans le monde ». Il va falloir qu’on comprenne. Comment un chrétien peut-il dire « je ne suis pas du monde » ? Comment le Christ peut-il dire : « vous n’êtes pas du monde » ?
Probablement y a-t-il du temps de Jésus comme de nos jours, des forces qui traversent ce monde et qui le gouvernent, contre lesquelles il faut se révolter, ou au moins résister. C’est vrai que dans toute la bible, on nous dit « ne copine pas avec les voleurs, ne t’assoies pas avec ceux qui ricanent du malheur des autres, ne te mêle pas des affaires qui puent l’embrouille ». C’est vrai que dans l’Ecriture sainte, il y a cet aspect un peu rebelle, anti-mondain. C’est pas si mal un peu de contestation et de résistance dans ce monde qui broie quand même beaucoup de gens.
Mais je pense ... deux choses.
D’abord, c’est vrai qu’on peut avoir de la sympathie pour ce genre de révolte, de raz le bol. On a probablement raison de gueuler de temps en temps, mais on en est aussi. On en est aussi de ce monde et de son paquet de compromissions, jusqu’aux genoux quand ce n’est pas jusqu’au cou !
Mais surtout, je crois que ce n’est pas tout à fait ça que dit Jésus. Vous savez, il bouscule pas mal les gens, on le sait, mais il ne méprise jamais. Dans le même évangile de Jean on a cette phrase qu’on ne devrait jamais oublier : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son fils. » Donc, il ne s’agit ici d’un mépris du monde ou d’un désespoir du genre « tous pourris », « c’est foutu, y-a plus rien à faire » ! Ou plus pieusement : « le monde est plein de ténèbres », peut-être, peut-être ! Mais si le Christ vient en ce monde, ce n’est pas pour le condamner, c’est pour proclamer qu’il y a en ce monde plus que les seules forces qui semblent le gouverner. Ce monde, pour qui sait voir, est traversé de beauté, ce monde est visité par la grandeur. Dire en même temps, comme fait Jésus : « je vous envoie dans le monde » et « vous n’êtes pas du monde », ça veut dire qu’il y a en ce monde plus que lui seul, il y a la force de l’Esprit qui le féconde, vous devez dire ça. Il y a en nous, plus que nous seul, il y a l’image de Dieu confiée en nos cœurs, en nos intelligences, en nos mémoires. Ce monde seul, est trop étroit pour Dieu mais il est trop étroit pour nous aussi. Voilà ce que veulent dire ces expressions étranges dans St Jean. Nous ne sommes pas que de ce monde, nous sommes de Dieu.
Et c’est bien ce que nous proclamons quand nous baptisons !
Deux petits détails pour finir. Des phrases que St Jean ne répète pas, mais qui sont très importantes.
« Ta parole est vérité », c’est la raison pour laquelle nous la méditons, sans cesse nous y revenons, nous y puisons. Il faut la travailler, la relire, la partager. Elle est vérité, c’est-à-dire que nous ne la possédons pas, nous la cherchons.
« Je parle ainsi pour qu’ils aient en eux ma joie » Ailleurs, il dira aussi « ma paix ». C’est cette espèce de force, de sérénité, de joie, de paix. Cette tranquille certitude qu’Il est là.
Que Dieu nous donne d’avoir cette religion de la joie, d’avoir cette joie de croire !