Ce texte est tellement difficile qu’il nous faudrait beaucoup de temps pour le comprendre. Comme il faut être bref je ne retiens que deux aspects. Les paroles un peu étranges concernant un serpent dressé par Moïse et le jugement.
Le mot jugement revient 4 fois, le mot lumière, 5 fois, le mot œuvre, action, 5 fois ! Comme toujours dans Jean, les phrases se renversent et s’éclairent les unes les autres. Pour faire vite disons trois choses.
Premièrement, ce n’est pas Dieu qui juge, ni Jésus, mais Dieu nous donne de quoi opérer nous-mêmes un jugement, un partage dans nos vies entre ce qui est ténèbres et ce qui est lumière.
Comment faire ? Second point. Aller à la lumière qu’il est lui-même. Laisser la bonté de Dieu nous visiter, laisser Dieu venir demeurer en nous, il sera notre joie, se nourrir de sa Parole qui est lumière dans nos vies. Seuls, nous serions pour nous-mêmes de terribles juges.
Troisième point, les actes que nous faisons finissent par nous façonner, ils finissent par déterminer en nous une attitude intérieure qui est notre juge. Celui qui agit avec bonté, la bonté finit par l’habiter, par le façonner, il devient bonté, quelque chose en lui ressemble à Dieu, voilà son jugement.
C’est un peu rapide mais il faut expliquer l’affaire du serpent !
« De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé. » Qu’est-ce que c’est que cette histoire de serpent ? Il faut se souvenir de l’exode [1]. Les hébreux sont dans le désert ayant fui l’Egypte. Or plusieurs d’entre eux sont mordus par des serpents et ils en meurent. Moïse dresse alors un mat et place dessus un serpent en bronze [2]. Et, nous dit le livre des Nombres, tout homme qui est mordu par un serpent regarde ce mat et il est sauvé, il ne meure pas !
Il est évident que Moïse n’a pas fait ce mat pour qu’on le vénère, comme une idole. Il l’a dressé pour bien montrer ce dont les hommes souffrent. Savoir ce dont nous souffrons, c’est déjà pour une part s’en libérer. Le serpent c’est une image de tout ce qui cause la ruine de l’homme, ce qui le conduit à la mort, ce qui l’abîme. Il est vrai que nous avons bien du mal à faire le partage entre ce qui nous fait du bien et ce qui nous fait du mal. La force du mal, c’est qu’il est sournois, on ne le voit pas trop bien, il se faufile, insaisissable. L’image du serpent, de ce point de vue est très parlante. Savoir où est en nous le mal, c’est déjà pour une part commencer à le vaincre. Faire un effort de lucidité sur nos conversions nécessaires, venir à la lumière, c’est déjà commencer à guérir. C’est un des aspects du carême.
Mais alors, pourquoi Jésus dit-il : « ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé » ? Le serpent, c’est le symbole du mal, ce n’est évidemment pas le cas du Christ ! Cependant on peut comprendre que regarder le Christ en croix, c’est regarder avec lucidité ce qui est la ruine de l’homme. Tuer Dieu, nier Dieu, le caricaturer, le crucifier, c’est blesser l’homme. Mais il faut aller plus loin.
Quand on compare le texte qui raconte cette histoire du serpent de bronze avec le texte de l’évangile, nous trouvons une différence dans le vocabulaire. Dans l’Exode, le serpent est fixé sur un mat, dans l’évangile, le verbe utilisé est « élever », il faut que le Fils de l’homme soit élevé. Mais élever au sens de glorifier, grandir. C’est donc de la résurrection qu’on nous parle. Ce n’est plus sur l’image de notre mal qu’il faut fixer notre regard, même si l’effort de lucidité reste nécessaire, c’est sur la vie offerte qu’il nous faut porter notre regard. C’est croire au Christ ressuscité qui nous sauve, croire que la mort est vaincue. Et c’est parce que nous regardons la vie que nous rejetterons ce qui va à la mort. C’est parce que nous regardons la bonté de Dieu que nous aurons la force de nous convertir. C’est parce que nous regardons Dieu qui est vie que nous vivrons.
[1] Episode relaté en Nb 21, 4-9
[2] On lira pour plus de détail tout ce qui concerne le Caducée, symbole très ancien, on en trouve des traces dès 2600 avant J.C. et même en Inde. Deux rameaux sont bien connus ; celui des hébreux, et celui d’Hermès (Mercure) que les médecins ont adopté. Les homéopathes l’affectionnent particulièrement, comme on peut facilement le comprendre. Cf. dictionnaire des symboles, Seghers.